En trame sonore, la performance vocale de l’éblouissante chanteuse Lisa Fischer, à elle seule de si grande précision et justesse dans tous ses intervalles, propulsant toutes ses lignes mélodiques, rappelle à l’esprit l’âme souffrante des Negro Spirituals. Âme en latin est traduit par le mot anima. Le coeur animé par la musique et la danse projetée sur les corps magnifiques de douze danseurs et danseuses tous aussi parfaits les uns que les autres, ce coeur animé englobe par conviction la spiritualité. C’est aussi ce qu’on désigne par le coeur animé ou The Propelled Heart dans l’appellation originelle de la chorégraphie que le compositeur-instrumentiste JC Maillard épaule et soutient deux heures durant.
Le créateur hautement réputé, monsieur Alonzo King, est indéniablement un très grand maître du génie de la danse moderne faisant la somme de toutes les expérimentations actuelles en ballet contemporain. The Propelled Heart est une création dynamique, scintillante: une constellation défilant des corps humains les plus impressionnants qui soient sans doute minutieusement choisis par la direction de la compagnie pour constituer le nec plus ultra de la danse actuelle. Voilà de l’art gravitationnel qui frôle les mondes des astres et des désastres en nos cartes du Ciel qu’explore ou analyse, en ses exercices, la méditation.
L’expérience artistique aborde l’esthétisme de la transcendance philosophique jusqu’au faîte du bouddhisme gestuel. Dans un lucide mot accompagnant le programme, on entre, sous la plume d’Alonzo King lui-même, dans la philosophie orientale établissant les liens sacrés entre humains, les tracés perceptibles et le cosmos où nous passons comme les étoiles filantes. Les mots de notre belle langue sentimentale et émotionnelle si riche pourtant nous manquent ici tout à fait pour décrire la splendeur de ce ballet d’Alonzo King.
En idées, on est aux confins, s’ils se rejoignent, des philosophies orientales et du plus idéal Montaigne soit celui très audacieux au troisième livre de se Essais car le penseur français parlait du corps et de l’âme sans relâche comme tous deux égarés dans le cosmos. Mais je me fais un devoir de nommer ici les danseurs émérites de ce trésor de compagnie de danse: chacun(e) y donnant forme et tracés séduisants dans l’espace visuel et sonore, je nomme avec dessein le grand, l’altier le vibrant Shuaib Elhassan, le puissant James Gowan, les oniriques Robb Beresford, Michael Montgomery, aussi bien entendu Batunji, Ashley Maieux et Jeffrey Van Sciver qui sont des beautés fauves béjartiennes. Ensuite la gracile Madeline DeVries, la sensuelle Adji Cissoko, les félines Maya Harr, Ilaria Guerra, Yujin Kim.
Voilà cette troupe de douze qui peut s’échanger librement ces qualificatifs qui me sont venus spontanément au fil d’une performance remarquable qu’autant l’esprit que l’oeil et l’oreille ne pourront de si tôt oublier. L’usage des vibrations harmoniques de la voix chargée d’une véritable cantatrice (car on touche sans contredit à l‘opéra dansé voire plus précisément à la danse opératique !) dans un contexte d’exploration de la sensualité humaine épousant les formes et figures de magnétisants corps en mouvements perpétuels,ce chant est rendu concret par l’imagination de nouvelles danses contemporaines sous la gouverne d’Alonzo King. Cette oeuvre est certes le substrat d’une synthèse d’or jaune, noir et blanc au centre alchimique de la nouvelle création contemporaine.
Le public montréalais dispose donc, en ce début de printemps, de l’opportunité d’explorer cet univers musical dansé par la compagnie Alonzo King à la salle Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 4 mai inclusivement. De la vaste programmation originelle captivante de la saison 2018-2019 de Danse Danse, il s’agit de l’ultime spectacle des séries et, cette fois, cette douzaine de danseurs de la compagnie Alonzo King ne peuvent être assez longuement applaudis.
C’est donc le coeur animé et battant que les fervents de la danse à Montréal goûteront à ce spectacle de fin de saison.