De retour depuis quelques jours des Îles-de-la-Madeleine où il a joué un programme très vaste de musique de piano comme il l’avait fait dans neuf autres villes de l’Est du Québec et du Canada, Philippe Prud’homme arbore le visage et le sourire de l’artiste satisfait. Parmi une sélection de 17 œuvres écrites par six compositeurs différents, Philippe Prud’homme expose ses perceptions et, au clavier, il se réincarne au comble de la félicité.
C’est un garçon cultivé s’exprimant dans une belle langue française bien de chez nous, sans doute avec teintes d’accents semblables au jeune Gilles Vigneault qui s’exprimait ainsi candidement fort jeune, mais ici c’est à propos de la musique classique des grands compositeurs et ce que peuvent représenter leurs chefs d’œuvre. Philippe Prud’homme me fait songer à mes vingt ans et ma subite passion folle pour Scriabine dont je dévorais les mélodies et étudiais la vie au fil d’une volumineuse biographie par Manfred Kelkel. Je dis tout ça de mémoire, mais les harmonies scriabiniennes du supposé Acte Préalable m’auraient sans doute fait faire une thèse de doctorat sur ce compositeur marginal passablement excentrique! D’ailleurs, c’est comme doctorant sur Scriabine que le jeune pianiste originaire de saint Jérôme se présente à nous. Je l’avais déjà entendu et rencontré à l’époque de ses études avec le pianiste Gilles Manny, un brillant élève d’Yvonne Hubert : Prud’homme est aujourd’hui pétri de poésie, d’admiration respectueuse pour les belles œuvres mélodieuses, quoique il sache s’ouvrir et se pencher avec sensibilité sur des compositeurs aussi variés que Prokofiev, Hamelin, Chopin, Rachmaninov et Liszt pour en tirer la substantifique moëlle comme dirait Rabelais. « Les jeunesses musicales m’ont permis de m’amener en régions avec un programme comme ça dit-il, avec des œuvres bien éloignées de la galanterie habituelle! » Il a bien raison.
L’ayant entendu il y a dix ans donc dans des études de Chopin et en le réentendant aujourd’hui sur un piano trop peu puissant pour le niveau de son jeu, je souligne tout de même ses qualités poétiques sincères, surtout l’action du jeu pianistique des œuvres parfaitement mémorisées. Il joue chaque œuvre et en est imprégné, tragiquement habité parfois jusqu’à l’effet théâtral du pianiste déchiré au terme des tempêtes de la deuxième ballade de Chopin, par exemple, ou la comédie enjouée du dernier mouvement de hautes dynamiques et couleurs de la quatrième sonate de Prokofiev. Ce que ce jeune homme fait de mieux, disons-le afin qu’il le sache, c’est de parler de musique avec conviction et passion. Une exactitude de rapports sur la vie et l’œuvre de tel ou tel compositeur. Il a des talents naturels de pédagogues et de vulgarisation de la musique pour la rendre accessible de façon sympathique aux jeunes aux adultes et peut-être même aux petits enfants qui, vers sept ans, veulent tout connaître, tout entendre, tout toucher.
En somme, un beau naturel et une générosité de jeu ou d’interprétation. Au final, retenons surtout l’aménité de sa personne. On est à cent lieues du vedettariat et de toute forme de prétention. C’est l’incarnation du plus pur amour de la musique classique et on passe de beaux moments en sa compagnie. Je l’aurais immédiatement invité à jouer sur mon Bluthner de concert à la maison ou encore le mettre à l’épreuve de mon vieux Steinway de New York (relégué dans ma bibliothèque) pour mieux entendre la finesse de son expression poétique dans La Vallée d’Obermann tirée des Années de Pélerinage et saisir véritablement la vraie palette de sa puissance sonore. Philippe Prud’homme a commencé l’étude du piano à 12 ans, ce qui est très tard (au plus tard à 6 ou 7 ans semble être la norme), mais il danse et agit tellement avec conviction ces œuvres à son programme qu’on se laisse emporter par l’essentiel : sa présence authentique au moment et à l’essence de l’œuvre.