Un projet sans précédent dans la carrière de Roxanne Bouchard, romancière révélée au public grâce à Whisky et Paraboles qui a reçu le Grand prix de la relève littéraire Archambault. Par la suite, l’écrivaine a signé le solo J’t’aime encore, présenté à La Petite Licorne. Cette fois-ci, c’est à La Grande Licorne qu’elle s’apprête à créer l’adaptation théâtrale de son essai 5 balles dans la tête, basé sur des témoignages de militaires québécois, qui ont servi durant la guerre en Afghanistan. Entrevue avec une autrice fébrile à l’approche de la première de sa pièce qui sera interprétée par huit comédiens.
Bousculer les préjugés
Vous avez un cousin, un beau-frère, ou un oncle qui est allé à la guerre? Que savez-vous de ce qui l’a motivé à risquer sa vie dans une telle aventure, lance Roxanne Bouchard. Pourquoi avoir choisi les armes? C’est la question qu’elle a posé à une trentaine de militaires de huit corps de métier : artilleurs, pilotes d’hélicoptères de combats, démineurs, etc.
«La guerre, on en entend parler tous les jours mais, qu’est-ce qu’on en sait? Bien au chaud, dans notre petit confort, on se dit antimilitariste. Par contre, quand on écoute ceux qui ont marché sur des champs de mines, ça change tout! On se rend compte que certaines interventions armées sont indispensables.»
Élément déclencheur
Le point de départ de la pièce 5 balles dans la tête remonte à une vingtaine d’années, alors que l’autrice était la conjointe d’un des chanteurs des Charbonniers de l’enfer et qu’elle gérait la correspondance du groupe.
Au printemps 2004, Patrick Kègle, qui combat en Afghanistan avec le Royal 22e Régiment, envoie un message élogieux aux Charbonniers dont le répertoire folklorique lui rappelle le Québec dont il s’ennuie. Le soldat se confie aussi sur ses rêves de paix. Madame Bouchard réplique avec scepticisme : comment peut-on parler de paix quand on est armé jusqu’aux dents ? Malgré leurs divergences d’opinions, ils poursuivent leur correspondance amicale qui bouscule leurs préjugés respectifs.
Quelques années plus tard, dans la foulée de la parution du livre, En terrain miné: correspondance entre une romancière et un soldat, Roxanne Bouchard donne une conférence; elle incite les militaires à raconter ce qu’ils ont vécu, pour se libérer du poids de leurs souvenirs et aussi pour que le public puisse mieux comprendre le sens de leurs sacrifices. Elle reçoit alors des messages de membres des Forces armées, déplorant que leurs traumatismes et leurs récits de guerre n’intéresse personne dans leur entourage. Puisque l’écrivaine semble se préoccuper de leur sort, certains demandent à la rencontrer.
C’est ainsi qu’elle reçoit des témoignages d’une grande intensité. Entre autres, celui du sergent Patrick Bédard, gravement blessé alors que le blindé dans lequel il se trouvait a roulé sur un engin explosif. En plus des blessures physiques, de nombreux combattants sont hantés par des images d’horreur. Inévitablement, certains d’entre eux ont vu un collègue mourir, durant la mission canadienne en Afghanistan qui a duré 12 ans et coûté la vie à 158 soldats.
Questions délicates
À travers ces rencontres, l’écrivaine a aussi posé à ses interlocuteurs des questions qu’on n’ose généralement pas soulever, dit-elle : «As-tu déjà tué quelqu’un? Comment on se sent quand on réalise qu’on a abattu un être humain? Est-ce que c’est un sentiment aussi éprouvant que d’être témoin de la mort d’un collègue?» Leurs réponses l’ont aidée à mieux saisir la portée de l’engagement militaire.
Briser le silence
La pièce 5 balles dans la tête est un condensé des témoignages recueillis qui dure environ une heure 20 minutes. «Le livre compte plus de 300 pages alors que le texte du spectacle tient sur une soixantaine de pages», précise Roxanne Bouchard. L’alter ego de l’autrice est intégré à l’histoire, puisqu’on retrouvera, sur scène, une romancière et professeure de cégep antimilitariste, qui rencontre des soldats canadiens de retour d’Afghanistan.
La dramaturge se réjouit de pouvoir poursuivre ainsi ses aspirations profondes : «j’ai toujours voulu que mes textes déclenchent des dialogues chez les gens. Je crois que ce sera le cas, surtout que le public pourra participer à des rencontres avec de vrais militaires, après les représentations.» (L’horaire de ces rencontres demeure à préciser).
5 balles dans la tête
Texte : Roxanne Bouchard
Mise en scène : François Bernier
Interprétation : Philippe Cousineau, Sylvie De Morais, Maxim Gaudette, Frédéric Millaire Zouvi, Éric Robidoux, Joakim Robillard, Lou Vincent-Desrosiers, Éric Vega
Une production du Théâtre DuBunker en codiffusion avec La Manufacture
Au théâtre La Grande Licorne, du 5 mars au 5 avril / Billets
Photo d’accueil : Maxime Gaudette, Sylvie De Morais et Éric Robidoux
Crédit : Richmond Lam