Coup de maître au Théâtre Jean-Duceppe : l’adaptation scénique du film québécois Gaz Bar Blues vous plongera dans l’émotion, que vous ayez vu ou non le film de Louis Bélanger, paru il y a 20 ans. Martin Drainville est bouleversant en homme atteint du Parkinson qui se débat pour maintenir en opération son gaz bar, menacé par l’arrivée des libres-services.
Pour une rare fois au théâtre québécois, le père n’est pas présenté comme un être fautif, violent et absent, mais plutôt comme un homme bon et qui a à coeur l’avenir de ses enfants. Le spectacle se distingue à travers la superbe musique de blues instrumental de Mathieu Désy, interprétée sur scène par les huit comédiens qui entourent Drainville et qui sont aussi de talentueux instrumentistes. En fait, le volet musical est si riche qu’on pourrait dire que Gaz Bar Blues, c’est deux spectacles en un !
Le défi de Martin Drainville
L’une des premières questions que se posent ceux qui ont vu le film : Martin Drainville arrive-t-il à s’approprier le personnage central de l’oeuvre ? On se souvient que François Brochu, propriétaire du gaz bar, était incarné au cinéma de façon magistrale par Serge Thériault (alias Môman dans La Petite Vie). La réponse est, oui, le jeu de Martin Drainville est si juste qu’il devient François Brochu !
Nous sommes dans un quartier pauvre de Québec, en 1989. Le gaz bar est la cible de hold-up et de clients qui abusent de la bonté de Brochu et ne paient pas leurs factures. Le monde est en période de grands changements avec la chute du mur de Berlin. L’économie planétaire se transforme. L’histoire a beau se dérouler il y a plus de 30 ans, la disparition des commerces de quartier nous interpelle toujours et peut-être même plus que jamais avec l’emprise croissante des Amazon de notre monde d’aujourd’hui.
Le gaz bar est aussi un lieu de rencontres d’hommes du quartier qui aiment se retrouver pour parler de tout et de rien, juste pour le plaisir d’être ensemble. Ils ne sont pas allés à l’école longtemps; ils n’ont pas beaucoup de vocabulaire mais, ils ont bien compris qu’il n’y a pas vraiment de place pour eux dans le nouveau monde qui prend forme.
Des comédiens musiciens
Dans cette remarquable adaptation de David Laurin, codirecteur artistique chez Duceppe, les personnages complètent souvent leurs discours en musique : par un défoulant solo de batterie, une envolée à l’harmonica, etc. C’est ainsi que Réjean Brochu, nous parle depuis Berlin où il est allé assister à la chute du mur et qu’il traduit d’abord son enthousiasme, puis son désenchantement, à la contrebasse, pendant qu’il parle! Chapeau à Frédéric Lemay!
De son côté, Steeve Lee Potvin, plonge corps et âme dans le rôle ingrat de Guy Brochu qui sera même chassé du gaz bar. Le jeune homme originaire de Rimouski s’avère un fougueux harmoniciste! Mention spéciale, également, à Francis La Haye qui donne vie à un désopilant inspecteur maniéré, dont la démarche s’apparente à un croisement entre le «moonwalk» et des courbettes du monde de Louis XIV. Il nous a fait rire à gorge déployée !
Édith Patenaude signe une mise en scène d’une grande efficacité, où tous ces personnages trouvent leur place au milieu de quelques éléments de décor qui suffisent à évoquer l’univers du gaz bar. Ajoutons que la sonorisation est impeccable. La musique blues groove à souhait et on ne perd pas un mot !
Des bémols
Même si l’adaptation est réussie, il y a quelques temps morts. Cela dit, certains trouveront sans doute que la musique prend beaucoup de place et que l’histoire n’est plus tout à fait la même.
Alors que Gaz Bar Blues est un film sur la relation père-fils, le spectacle ajoute un personnage féminin majeur qui devient en quelque sorte la narratrice. Danielle Brochu, fille du «boss», est interprétée avec douceur par Miryam Amrouche qui est aussi une bonne claviériste.
Ce qui choque, c’est que son père lui dit qu’elle «mérite mieux» que ses frères et qu’elle doit poursuivre ses études contrairement à eux qui n’auraient pas les qualités pour s’instruire ! Voilà une dose de sexisme à la mode, vraisemblablement au nom de la sacro-sainte inclusion. Mais, demande-t-on à Michel Tremblay d’ajouter un personnage masculin à ses Belles-soeurs pour être plus inclusif ?
Pareille maladresse est d’autant plus regrettable qu’on connaît les énormes difficultés des jeunes Québécois à l’école. Avait-on besoin de les rabaisser encore! À mon sens, c’est là une importante fausse note dans ce blues qui pour le reste m’a ému et fasciné.
À Montréal, à Québec et en tournée
Après Montréal, Gaz Bar Blues qui est une coproduction de Duceppe et de La Bordée, sera présenté dans la Vieille Capitale, avant de partir en tournée à travers le Québec.
Gaz Bar Blues
D’après le film de Louis Bélanger
Adaptation théâtrale : David Laurin / Mise en scène : Édith Patenaude
Interprétation : Bertrand Alain, Miryam Amrouche, Claude Despins, Martin Drainville, Francis La Haye, Frédéric Lemay, Hubert Lemire, Steven Lee Potvin, Jean-François Poulin
Au Théâtre Jean-Duceppe du 18 janvier au 18 février / Billets
*Crédit photo : Danny Taillon