En reprise avant de prendre les routes du Québec en tournée provinciale, la pièce Je t’écris au milieu d’un bel orage connaît le même succès qu’auparavant, cette dernière semaine de la fin d’octobre, au Théâtre du Nouveau Monde. Anne Dorval y brille de tous ses feux.
Pour quiconque aura lu la correspondance (1944-1959) amoureuse entre Maria Casarès et l’écrivain Albert Camus, les affects de chaque personnage apparaîtront limpides et presque un éclaircissement sentimental essentiel grâce à la pièce adaptée à partir de la Correspondance par Dany Boudreault et mise en scène par Maxime Carbonneau.
Une grande performance de Dorval
C’est une Anne Dorval en grande forme qui domine les scènes et le discours amoureux. Au point d’éclipser toute intelligence de la magnitude de l’écrivain-philosophe rival de Jean-Paul Sartre.
La comédienne québécoise couronnée de ses lauriers de meilleure actrice au Festival de Cannes n’a certes pas besoin d’éloges supplémentaires, mais le décalage est criant entre son jeu étincelant et la mission de Steve Gagnon qui incarne, un peu en décalage de crédibilité par la voix et le port de la barbe… l’auteur de L’Étranger. Absent demeurera le détail de la vaste pensée de Camus, ce qui rend l’écoute moins jouissive si on a longtemps lu et étudié (et enseigné) l’oeuvre de l’écrivain.
Contraste prononcé entre eux et Beauvoir-Sartre
Les rapports de quasi obéissance entre Simone de Beauvoir se rendant servile à tous les caprices de Jean-Paul Sartre, si évidents dans cette fameuse correspondance entre eux, ne se répètent nullement ici. Maria Casarès s’affirme sans détour et elle impose ses limites: elle exige le respect de sa situation, réclame une teneur sérieuse et elle domine cette relation amoureuse avec tendresse et un amour vraiment resplendissant.
Incarner Albert Camus
La pièce d’une durée de deux heures sans entracte restera donc un miroir de leurs sentiments amoureux en évolution. Bien entendu, il y a peu d’échange de hautes idées philosophiques (du niveau de La Peste ou du Mythe de Sisyphe par exemple).
Jouer le rôle d’Albert Camus, vu son prix Nobel et sa célébrité universelle, est un contrat immense, vu ce génie de l’écrivain dont on connaît en plus l’exact timbre de sa voix. De toute façon, ce n’était pas le propos de la pièce de dresser un tableau philosophique, la pièce se réduisant, en ambition, à ces décennies d’amour réciproque.
Quelques incohérences de décor
Je ne puis m’empêcher d’avoir noté que la scène divisée entre deux lieux soit le décor de la résidence française de Maria Casarès et celle de Camus, que leur ameublement est en contradiction un tantinet flagrante avec l’époque même dans la haute bourgeoisie.
La téléphonie ne comportait pas en France un téléphone à boutons pressoirs apparu ici en Amérique à la fin des années soixante-dix. En tout cas il n’est pas conforme aux années de cette correspondance (44-59).
On ne trouvait dans la capitale et en province jusqu’en 1980-82, tout partout, autre chose qu’un sombre (peu de couleurs disponibles) téléphone rudimentaire fort bruyant à cadran rotatif à la manipulation duquel se fatiguait à signaler chaque numéro, l’index de la main.
Un lit pour les rencontres amoureuses
L’amour est au centre du décor avec ce lit recevant les ébats amoureux. Je me suis interrogé sur la vraisemblance de la chaîne stéréophonique (à côté du lit) comportant une platine intégrée à plateau sautoir pour disques vinyles en attente!
Oui, ça fait un beau meuble unitaire sur scène, certes, mais la production et la vente est ultérieure à cette époque de beaucoup, en tout état de cause en technologie accessible aux foyers français (surtout avec le retard causé par la guerre et la pauvreté de presque tous Français au niveau de vie rehaussé seulement un peu au terme des années De Gaulle) .
Même les salles d’eau de base n’étaient pas généralisées et modernisées en France et dans la capitale avant les années Giscard d’Estaing (74-81) donc jusqu’à l’aube des années Mitterand soit 1981. Ces détails ne sont perceptibles que pour celui ou celle qui cherche une fidélité ou cohérence dans l’ameublement avec l’époque qu’on cherche à représenter, considérant qu’Albert Camus meurt tragiquement, dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960.
Au TNM jusqu’au 27 octobre, puis dès lors en tournée.
Dates de tournée
6 novembre 2024, Drummondville, Maison des arts Desjardins
8 novembre 2024, Laval, Salle André-Mathieu
12 novembre 2024, Terrebonne, Théâtre du vieux Terrebonne
15 et 16 novembre 2024, Gatineau, Salle Odyssée
20 novembre 2024, Rimouski, Salle Desjardins-Telus
26 novembre 2024, Québec, Salle Albert-Rousseau
3 décembre, Sherbrooke, Centre culturel UdeS | Salle Maurice‑O’Bready