Grande première au Théâtre du Rideau Vert d’Albertine en cinq temps, un opéra chanté en joual. Catherine Major a mis en musique les émotions qui habitent ce célèbre personnage de Michel Tremblay. À 70 ans, Albertine se retrouve complètement seule et elle règle ses comptes avec les femmes qu’elle a été à différentes étapes de sa vie. Si le sujet est sombre, les musiques sont plutôt douces et harmonieuses, les six chanteuses ont de belles voix et le décor est lumineux !

Crédit : Véronique Duplain
Un alliage de joual et d’art lyrique
Ce qu’il y a de particulier dans Albertine en cinq temps, l’opéra, c’est d’abord cette union entre la langue de Tremblay et l’art lyrique. En effet, ce n’est pas tous les jours qu’on entend une soprano chanter les mots : «Chus tu seule», ou «Respire, Bartine», qui devient comme un leitmotiv que chantent les cinq Albertine pour calmer leur colère.
Cette alliage inhabituel entre le joual et l’opéra surprend durant les premières minutes, mais on se laisse gagner. Major apporte parfois un certain romantisme et à d’autres moments des accents de musique populaire qui font résonner les états d’âme d’Albertine. Cela dit, il ne faut pas s’attendre à des chansons à refrains comme celles de Daniel Bélanger pour Belles-soeurs. Albertine est une oeuvre plus introspective et cela se reflète dans la musique de Catherine Major.
Tous les thèmes de la pièce de Tremblay se retrouvent dans l’opéra qu’il s’agisse de la colère, la haine des hommes, les tourments de la maternité, la vieillesse et la solitude. La metteure en scène Nathalie Deschamps et ses consoeurs du Collectif de la Lune Rouge se sont basées sur le texte original de Tremblay pour créer des dialogues parlés et des airs pour solistes ainsi que quelques choeurs. Il y a des surtitres pour aider à suivre les textes chantés.
En fait, c’est un peu comme si on jouait la pièce et qu’on y insérait des airs lyriques, permettant de développer les propos des comédiennes et de traduire leurs sentiments en musique, le tout en 90 minutes sans entracte. Ça donne un spectacle qui a du rythme et où il y a des moments d’émotion intense !
Les interprètes
Il fallait donc trouver des chanteuses qui sont aussi de solides comédiennes. Chantal Lambert, en Albertine à 70 ans, est au coeur du spectacle. Impeccable vocalement, elle m’a toutefois paru un peu trop sereine, compte tenu du terrible constat d’échec qu’elle fait de sa vie.
Monique Pagé est d’une amertume troublante en Albertine à 60 ans. On retient son souffle à chacune de ses interventions, car on la sent pleine de rancoeur et prête à déballer des vérités cruelles. Chantal Dionne est touchante en Albertine à 50 ans, convaincue qu’elle pourra changer le cours de sa vie en quittant la maison pour devenir serveuse de restaurant.
Florence Bourget (Albertine à 40 ans) est la seule mezzo-soprano de la distribution (les autres chanteuses étant toutes des sopranos), alors que Catherine St-Arnaud (Albertine à 30 ans) interprète probablement l’air le plus exigeant de la soirée, où la rage est exprimée à travers des vocalises spectaculaires !
Enfin, Marianne Lambert est très convaincante dans le rôle de la compatissante Madeleine qui tente de comprendre la colère de sa soeur Albertine. Mais cette dernière rêvait déjà dans son enfance d’un monde où il n’y aurait «que des petites filles». Son dégoût des hommes n’a cessé de grandir tout au long de sa vie. Ils sont le «danger» et elle les considère globalement comme étant la principale cause de ses malheurs.
Les six chanteuses sont accompagnées de cinq musiciennes qui réussissent à créer une belle variété de textures sonores. Il s’agit de la pianiste Marie-Claude Roy qui est aussi la directrice musicale, ainsi que Mélanie Vaugeois au violon, Annie Gadbois au violoncelle, Élise Poulin au cor anglais et Anaïs Vigeant à la contrebasse.
Un décor lumineux

Crédit : Véronique Duplain
L’un des tours de force de la soirée est d’avoir réussi à placer ces onze artistes sur la petite scène du Rideau Vert. Il y a deux étages (comme on peut le voir sur les photos) dans ce magnifique décor où une lune se déplace et devient croissante ou décroissante, permettant de voir les musiciennes aux moments voulus.
Au premier étage, les Albertine se trouvent chacune devant une porte qui s’ouvre ou se referme. Elles disparaissent parfois momentanément derrière ces portes. Madeleine qui a le coeur plus léger qu’Albertine monte parfois à l’étage pour chanter. La mise en scène est un peu statique mais, pas besoin de multiplier les déplacements et autres effets quand ce qui est raconté et chanté atteint une telle intensité !
Une supplémentaire et une tournée
Albertine en cinq temps, l’opéra est présenté au Rideau Vert, samedi (10 septembre à 16h). On a aussi ajouté une supplémentaire, dimanche (11 septembre à 15h).
Le spectacle partira en tournée l’an prochain et s’arrêtera, entre autres, au Grand Théâtre de Québec (21 avril 2023) et à la Salle André-Mathieu, à Laval (13 octobre 2023)
Albertine en cinq temps, l’opéra
Musique : Catherine Major / Livret : Collectif de la Lune Rouge, d’après la pièce de Michel Tremblay
Mise en scène : Nathalie Deschamps / Scénographie : Anne Séguin-Poirier