Deux mois après le décès de l’organiste et compositrice québécoise Rachel Laurin, ses cycles de mélodies intitulés Chant pour un Québec lointain seront présentés en entier pour la toute première fois, à la Salle Bourgie. Le baryton Marc Boucher et le pianiste Olivier Godin interpréteront ces pièces composées sur les textes d’un recueil de poèmes qui a valu le prix du Gouverneur général du Canada à Madeleine Gagnon, femme de lettres d’origine gaspésienne. À travers des musiques teintées d’inspiration folklorique, cette création raconte le Québec à travers «ses beautés, ses blessures, ses rêves et ses idéaux». Il s’agirait du premier cycle de mélodies québécoises de cette envergure.
À la mémoire de Rachel Laurin
Compositrice d’oeuvres allant de la sonate à la symphonie, Rachel Laurin a longtemps été l’adjointe de Raymond Daveluy, à l’époque où il était titulaire du grand orgue de l’Oratoire St-Joseph. Puis, en 2002, elle est devenue organiste à la Cathédrale Notre-Dame, à Ottawa.
Qui plus est, la réputation de cette musicienne, née à Saint-Benoît (Mirabel), déborde largement nos frontières, entre autres, grâce à ses nombreux enregistrements.
C’est entre 2010 et 2014 qu’elle a écrit les 14 mélodies de Chant pour un Québec lointain. Jusqu’à maintenant, seulement cinq d’entre elles ont été présentées en concert, une seule fois, en 2012, par Marc Boucher et Olivier Godin.
La dame était donc enthousiaste à l’idée de voir son oeuvre entière prendre forme sur scène avec les deux artistes pour lesquels elle l’a créée.
«Je lui ai parlé encore au début de l’été», relate le chanteur. «En fait, il y avait un mélange de joie et de déception chez elle. Bien sûr, elle aurait aimé assister à cette création, mais on savait que son cancer était très avancé et qu’elle ne passerait probablement pas l’été.»
Madame Laurin est effectivement décédée le 13 août dernier, à l’âge de 62 ans.
«Chant pour un Québec lointain» est une oeuvre très précieuse car il n’existe pratiquement pas de cycles de mélodies québécoises de cette envergure! Il y a, par exemple, un cycle de quelques mélodies consacrées à Nelligan, mais Rachel est allée plus loin avec une grande fresque musicale!»
On se souviendra aussi du cycle de mélodies Coeurps sur des poèmes de Jean Charlebois, mis en musique par Jeanne Landry mais, il est vrai que ce genre n’est pas très répandu chez les compositeurs québécois.
«Ce n’est pas de la chansonnette!»
«L’art de la mélodie est très exigeant! Ce n’est pas de la chansonnette! Ça demande des capacités vocales!», lance le baryton. «Ce n’est pas non plus comme à l’opéra où l’on met la pédale à fond, pour être entendu généralement dans de grandes salles! La mélodie, c’est plutôt un univers délicat où l’on évoque des images! Ça exige toute une palette de couleurs que je dois imprimer avec ma voix.»
Plus encore, monsieur Boucher précise que la partition du Chant pour un Québec lointain totalise 74 minutes. En comparaison, le personnage de Susanna dans Les Noces de Figaro de Mozart chante durant environ 24 minutes.
«Ça fait déjà deux mois que je m’entraîne à interpréter le cycle en entier! Il faut que je sois au meilleur de ma forme vocale. J’ai d’ailleurs cessé de boire de l’alcool à la mi-mai, car c’est un irritant. Et puis, j’évite les foules! Ce n’est pas le temps d’attraper un rhume!»
Très occupé, monsieur Boucher qui est aussi directeur général et artistique du Festival Classica, nous annonce que ce sera son «dernier récital complet en mélodie française. Je vais toutefois continuer de chanter à l’opéra où les interprètes sont moins mis à nu que dans le récital de mélodies», un genre qui semble en voix de disparition, selon lui.
Un défi pour le pianiste aussi
Pour sa part, le pianiste Olivier Godin qui est directeur artistique de la Salle Bourgie, soutient que l’oeuvre est «d’une difficulté d’exécution redoutable, autant pour la voix que pour le piano».
«Rachel Laurin croyait fermement à une musique contemporaine qui s’adresse à un large public grâce à un langage accessible et harmonieux.
Elle composait dans un style qui n’est pas sans rappeler celui de son maître, Raymond Daveluy : une tonalité très élargie englobant autant le chromatisme que la modalité», écrit monsieur Godin dans le programme du concert.
Après de nombreuses répétitions, Marc Boucher estime que l’oeuvre est «pianistiquement très touffue! Ça pourrait être joué par un orchestre!
En fait, Rachel entendait sa musique de façon presque symphonique, parce qu’elle était organiste et que cet instrument permet de créer des superpositions de couches musicales.»
«Une oeuvre éminemment politique!»
Quant aux paroles, elles évoquent «le Québec en devenir. J’ai une affinité particulière avec ce texte. C’est une oeuvre éminemment politique! Madeleine Gagnon était de cette génération qui a espéré une certaine autonomie, voire l’indépendance du Québec.»
Le baryton a changé un seul mot dans toute l’oeuvre. Il a remplacé «femme» par «homme» dans la septième mélodie intitulée «Dire je suis femme de ce peuple aimé». L’ensemble du projet s’est déroulé sans madame Gagnon, 85 ans, qui éprouverait des problèmes de santé.
Enfin, qu’est ce que Marc Boucher souhaite qu’on retienne de cette création ? «J’espère que les spectateurs vont apprécier les talents de compositrice de Rachel Laurin et découvrir ou redécouvrir Madeleine Gagnon, une importante figure littéraire du Québec. Je souhaite également qu’on réalise que la politique est nécessaire car on ne peut construire une société égalitaire sans engagement politique.»
Chant pour un Québec lointain
Création musicale de Rachel Laurin sur des poèmes de Madeleine Gagnon
Interprètes:
Marc Boucher, baryton / Olivier Godin, piano
À la Salle Bourgie, le 11 octobre à 19h 30