Avec quinze danseurs sur scène Crowd prend les allures d’un nouveau Sacre du printemps au son de musiques techno. De nombreuses scènes au ralenti, un peu comme au cinéma, permettent d’isoler des personnages et d’explorer leurs sentiments, qu’il s’agisse de joie, de solitude, de jalousie, etc. Dans cet univers étrange de la chorégraphe et metteure en scène franco-autrichienne Gisèle Vienne, rêve et rave se confondent.
Rave au ralenti
L’entrée en scène se fait au ralenti. On se sent tout de suite en présence d’adolescents qui vont à un rave. Malgré leur jeunesse, on verra qu’ils ont quitté l’âge de la candeur; ils se sont donné rendez-vous dans un lieu souillé : un champ jonché de déchets. Ces jeunes danseront néanmoins sur une surface recouverte de terre, comme c’est le cas dans Le Sacre du printemps de Pina Bausch présenté au début d’octobre à Montréal avec des danseurs africains.
Mais qui sont les «personnages » de cette «crowd» ? Lesquels d’entre eux se connaissent ? Qui est venu avec qui ?
Des regards se figent. Des sourires se dessinent. Sont-ils dans leur état naturel ou ont-ils consommé certaines substances ? Dans ce rituel de la rencontre, l’érotisme et le désir sexuel ne tardent pas à s’imposer. Baisers, enlacements, etc.; on passe parfois à l’acte sans le consentement du ou de la partenaire.
La pulsion de mort n’est pas exempte de cette fête païenne. Un tonitruant coup de feu surgit ce qui ne semble pas perturber les danseurs vraisemblablement sous influence… de la fumée sort de leurs vêtements !
De son côté, le public est absorbé, voire, emporté par les mouvements de cette foule où l’euphorie côtoie le «bad trip». D’ailleurs, lorsque la musique s’arrête soudainement, les spectateurs retombent momentanément dans leur réalité et réalisent que leur voisin est assis juste à côté. Tiens, tiens, on avait presque oublié ! Et voilà qu’on entend de nouveau la respiration de l’autre, ses gargouillements, etc. Puis, la musique revient et on glisse une fois de plus dans l’inquiétante nuit de Crowd.
Alors que dans le Sacre, une jeune fille est sacrifiée, dans Crowd la victime sacrificielle semble être incarnée par une adolescente, visiblement isolée et imperméable à la joie qui l’entoure. Les émotions passent en grande partie par l’expression des regards qui est remarquablement détaillée tout au long de ce récit sans mot.
Si l’aspect théâtral de Crowd est très développé, on regrette qu’il n’y ait, somme toute, que peu de danse dans ce spectacle. La musique est excellente, mais elle est rarement utilisée pour danser. C’est plutôt l’expression corporelle qui nous révèle les «personnages».
En résumé, on est déçu de constater qu’on a eu recours au réputé musicien britannique Peter Rehberg (aujourd’hui décédé) pour le montage de cette riche trame sonore qui ne trouve finalement pas son écho dans la chorégraphie de Gisèle Vienne. Cela dit Crowd demeure un envoûtant voyage peuplé d’oiseaux de nuit fougueux et qui pourrait vous faire retomber en adolescence. Ce n’est pas rien !
Crowd est présenté, ce soir encore (20 octobre), à l’Usine C.