On ne se lasse pas de voir ce spectacle dont l’audacieux Martin Fontaine est le protagoniste, directeur artistique et metteur en scène. Elvis Experience on Tour 1972 est un défi pour le cerveau. On a beau essayé de retrouver sous la perruque, le maquillage, la gestuelle, la voix, la performance grandiose, cet humble Québécois rouquin pâle, coupe militaire, menu, presque fragile, on n’y arrive tout simplement pas. On se laisse happer comme des enfants. Car l’illusion est totale.
Si bien que la clameur de la salle au vif, les femmes qui s’affolent au devant de la scène, qui se lèvent spontanément pour danser, qui crient, qui se battent pour attraper les foulards rouges et blancs ou les oursons de peluche enduits de sueur, les hommes et femmes qui se bousculent pour lui serrer la main, se sont laissés emporter hier soir par le mirage qui perdure depuis 27 ans et deux millions de spectateurs pour Martin Fontaine. L’artiste de 57 ans pourra-t-il un jour se passer de cet inlassable engouement du public ?
Mouture 1972
Dès son entrée sur scène, on est sous le joug de cet Elvis intrépide, mouture 1972. Tiré à quatre épingles dans sa combinaison justaucorps blanche à pattes d’éléphant, sertie de bijoux rouge et or, échancrée suffisamment pour entrevoir et se laisser titiller par un torse masculin désiré … désirable, décoré d’une croix et d’un pendentif, la cape assortie accrochée au col, le ceinturon chevaleresque truffé de pierreries entourant cette taille mince. La matière grise ne résiste pas non plus à cette voix grave qui vous enveloppe, aux tics racoleurs si singuliers et délibérés, à ces gestes familiers et réconfortants : Elvis est vivant, mince et en santé, ma foi !
Puis de nos jours, il est rarissime d’assister à un spectacle qui dure le temps de 31 chansons et dont l’artiste aux cuisses et mollets toniques y va de squats, de demi squats, de fentes, de demi-tours, de mae geris, de zukis qui rappellent le kumite et les katas du karaté.
Les performances physiques sont aussi dans cette voix puissante et vibrante avec See See Rider, Proud Mary, Mystery Train, Johnny B. Goode où notre bouillonnant Elvis se démène en faisant des moulinets un bras à la fois. Sur scène, 14 musiciens, 8 choristes participent autant à l’illusion avec les costumes rassembleurs de l’époque, les perruques aux cheveux abondants, reliques des années Beatles, et les choeurs aux sonorités des années 70. Elvis les présentera en accord avec le nom de ceux qui accompagnaient Elvis Presley à l’époque. Sur cette scène, ils sont tous des acteurs. Au mythique Théâtre St-Denis, la scène déborde autant de tous ces musiciens et chanteurs que de ses milles émotions que le généreux Martin Fontaine nous injecte une chanson, un geste, un sourire, une blague, un regard à la fois.
Humour
C’est entendu, l’interprète a la permission de ne s’exprimer qu’en anglais avec ce ton nasillard que l’on reconnaîtrait entre mille. Au-delà du spectacle minuté au quart de tour exposant les immenses succès tels Heartbreak Hotel, Suspicious Mind, Sweet Caroline, Blue Suede Shoes, Jailhouse Rock, Fontaine badine aisément, a la réplique facile et humoristique face à un public soulevé qui pendant deux heures et un entracte, en profitera pour rire, crier, danser, et forcément oublier les grands soucis de la vie quotidienne. Au coeur d’Elvis Expérience on ressent aussi une équipe soudée, prête à venir en renfort devant l’imprévu comme quand le ceinturon tout à coup tombe parterre pendant une chanson.
Il se cache chez Martin Fontaine un homme brave et mystérieux : celui qui a osé endosser et exposer sans vergogne le personnage de cette idole du monde entier. Celui qui a bâti et réalisé ce spectacle grandiose dans lequel le public est totalement confondu par l’illusion. Celui d’avoir tenu bon.
Certes, depuis les débuts de son Elvis Story en 1995, Martin Fontaine a connu des moments d’impatience et de doutes à plusieurs reprises durant cette longue route et vis-à-vis son alter ego. Il a présenté son propre spectacle que j’ai vu il y a quelques années : démaquillé il demeure un interprète au talent immense. Puis il annonce une dernière tournée cette fois-ci. À 57 ans, il est évident que cet ardent athlète de la scène, pense à l’avenir. Quitter son alter ego qui fait encore vivre des moments capiteux ne sera pas facile.
S’il était un spectacle à ne pas manquer avant qu’il ne quitte la scène, c’est bien celui d’Elvis Experience avec Martin Fontaine.
Photo en accueil : Erick Labbé