Après Les Feluettes, Les Muses orphelines et Tom à la ferme, Michel Marc Bouchard, observateur sensible des relations familiales, nous surprend une fois de plus ! Sa nouvelle pièce Embrasse ose un sujet rarement abordé, en braquant les projecteurs sur une mère toxique (Anne-Marie Cadieux) et les ravages qu’elle cause chez son fils (Théodore Pellerin). Ce dernier qui rêve de devenir couturier, survivra-t-il à ses blessures d’enfance ? Depuis longtemps, il tient le coup en dialoguant avec son conseiller imaginaire Yves Saint Laurent, incarné par Yves Jacques. Malgré le caractère dramatique de l’oeuvre, on rit pourtant souvent, car le dramaturge est un virtuose du tragi-comique

Crédit photo : Yves Renaud
Ça commence avec le bruit d’une énorme gifle ! Que s’est-il passé ? Béatrice Lessard qui tient un magasin de tissus dans un petit centre commercial, profite de la présence de son fils Thomas à la boutique pour aller se chercher un sandwich. C’est alors qu’elle croise madame Maryse (Alice Pascual), enseignante, convaincue que Béatrice brutalise Thomas. C’est qu’on entend souvent crier chez les Lessard. En plus, le garçon a un comportement singulier : il embrasse les gens sans raison… On apprendra même qu’il s’auto-mutile !
Se faire traiter de «marâtre!» fait bondir Béatrice qui frappe son interlocutrice au visage. Ensanglantée, Maryse décide de porter plainte et Hugo voit sa mère arrêtée par un policier (Anglesh Major) qui menace de la menotter !
Cadieux devient vite hilarante en femme en colère et de mauvaise foi qui tente par tous les moyens de discréditer son accusatrice. On rit tellement qu’on en vient à se demander si le ton de la pièce ne banalise pas l’agression.

Crédit photo : Yves Renaud
Réglé comme une partition musicale
Pendant que l’accusée rage en attendant son procès, Hugo, le rêveur continuellement rabroué par sa mère, demeure à bien des égards en admiration devant sa génitrice. Il veut d’ailleurs lui créer une tenue éblouissante qui l’aiderait à être innocentée.
Pour ce faire, il a recours à son conseiller imaginaire Yves Saint Laurent. Au moment d’un essayage du vêtement, Béatrice demande à son fils de lui révéler ce que devient son père avec qui elle n’a plus le droit d’entrer en contact. Le garçon finit par répondre.
Alors que le couturier indique à son élève où placer les épingles sur le vêtement en devenir, les révélations du fils semblent s’enfoncer dans le coeur de sa mère comme de longues aiguilles. Les répliques d’Yves Jacques et Théodore Pellerin sont ici réglées comme une partition musicale. Thomas affirme que son père a une nouvelle compagne. «Épingle!», scande Saint-Laurent. Elle est psychologue. «Épingle!», ordonne le couturier. Elle a trente ans. «Et une dernière», ajoute Saint-Laurent. Elle est enceinte.
Emprise maternelle

Crédit photo : Yves Renaud
N’osant pas braver sa mère plus en colère que jamais, le jeune homme a fait, en secret, une demande pour être admis dans une école de couture. Il attend la réponse, mais quelqu’un a intercepté la lettre. Thomas parviendra-t-il à quitter cette mère toxique ? Comment Béatrice qui a déjà perdu son mari qu’elle aime encore, survivrait-elle au départ de son fils unique ? Le suspense demeure jusqu’à la fin de ce spectacle de 90 minutes où on ne voit pas le temps passer.
Pellerin et Cadieux brillent dans cette pièce, mise en scène par Eda Homes. Yves Jacques est assurément l’homme de la situation pour faire revivre Yves Saint Laurent. Son personnage prend toutefois peut-être un peu trop de place en apportant des détails sur sa carrière personnelle qui s’éloignent de l’histoire familiale dramatique de Thomas. Alice Pascual assène quelques répliques désopilantes sur les réflexes superficiels d’appuis aux présumées victimes développés ces dernières années. Anglesh Major ajoute son grain de sel en policier très humain qui croit avoir compris pourquoi Thomas embrasse les gens sans raison.
En résumé, le TNM ouvre sa saison avec une création forte ! À ne pas manquer !
Embrasse
Texte : Michel Marc Bouchard /Mise en scène : Eda Holmes
Avec : Théodore Pellerin, Anne-Marie Cadieux, Yves Jacques, Alice Pascual, Anglesh Major
Au TNM, jusqu’au 16 octobre 2021