Le pianiste Jean-Michel Blais était entouré de douze musiciens pour présenter les pièces de son plus récent album, à la Place des Arts, en ce dernier soir de la 42e édition du Festival international de jazz de Montréal. Blagueur, l’artiste raconte qu’il a vécu la pandémie comme une personne âgée, en se levant très tôt le matin et souvent à l’aube. Ce mode de vie lui a inspiré aubades, des musiques qui célèbrent la beauté du jour qui commence. Mais pourquoi le compositeur a-t-il osé s’aventurer dans des univers musicaux où il n’était encore jamais allé ? Ses explications vont sans doute vous faire sourire.
Blais ouvre le bal avec la douce Absinthe, seul au piano, avant d’être rejoint sur scène par quelques musiciens. On l’écoute attentivement. On l’applaudit très chaleureusement ! «C’est un peu incroyable ce qui m’arrive!» dit le trentenaire, heureux de constater qu’autant de gens se sont déplacés pour écouter sa musique à la salle Wilfrid-Pelletier.
Pince-sans-rire, il remercie les retardataires qui tentent de trouver leurs sièges dans le noir : «ça rajoute une petite musicalité !» Cette blague n’est pas anodine, car on sent que ce qui inspire Blais, ce sont justement les moments de la vie qui ne se passent pas comme prévu ou qu’on ne peut expliquer.
Pourquoi un groupe d’oiseaux change-t-il soudainement de direction ? Le mot anglais «murmuration» qui évoque ce phénomène lui a inspiré le titre de la pièce Murmures.
Quant à Nina, une mélodie particulièrement applaudie, elle fait référence à une enfant de l’entourage du pianiste. En apprenant à marcher, la fillette tombait et se relevait, «un peu comme moi qui ai commencé à écrire des orchestrations», dit-il. Ce n’est pas toujours très bon, mais on se laisse porter par sa vulnérabilité et l’envie de se dépasser, résume Blais, en soulignant que «la maman de Nina est dans la salle ce soir! »
Le concert et l’album aubades ont le mérite de nous entraîner dans des ambiances très diversifiées, allant de la valse au passepied, une danse qui s’apparente au menuet et qui a inspiré, entre autres, Jean-Sébastien Bach. Avec l’aide, entre autres, de l’arrangeur Alex Weston, le compositeur a poussé sa musique plus loin que jamais, en lui donnant une dimension de musique de chambre et en mettant en valeur des instruments peu présents dans la musique populaire : hautbois, clarinette, piccolo, basson, cor, etc.
On dira que aubades ne révolutionne rien et que bien d’autres artistes avant Blais ont su faire cheminer leur public en combinant des influences de diverses époques. On pense, entre autres, au pianiste québécois André Gagnon qui avait écrit des orchestrations baroques de chansons de la Bolduc pour son album «Les Turluteries», en 1972.
Mais, voilà, à chaque époque, il est bon que des artistes créent des ponts entre les musiques à la mode et celles d’autrefois. Combien de spectateurs réunis au concert de Blais avaient-ils déjà entendu parler d’un passepied ? Chose certaine, ils ont été fascinés par cette oeuvre fort différente de ce à quoi les a habitué le pianiste néoclassique, qui avait utilisé plusieurs appareils électroniques lors de son concert à la Maison symphonique en 2018. Cette fois-ci, il était accompagné de onze musiciens classiques, sous la direction de Julien Proulx, chef de l’Orchestre symphonique de Drummondville
Le trentenaire aurait pu s’asseoir sur ses lauriers après avoir lancé, en 2016, un premier album studio classé parmi les dix meilleurs de l’année par le magazine Time. Mais, il avait envie de se réinventer et l’arrivée de la pandémie a tout changé. Je vivais une mini-dépression, explique-t-il, et je suis tombé sur le film Field of dreams où un fermier joué par Kevin Costner décide d’aménager un chant de baseball dans le but d’y attirer les fantômes de joueurs légendaires de ce sport.
L’espiègle trace un parallèle avec l’arche de Noé qui, d’après la Bible, est un navire construit sur l’ordre de Dieu afin de sauver du Déluge, entre autres, les espèces animales. Mais comment amener les animaux à l’arche ? Dieu aurait alors répondu à Noé, «if you build it, they will come», ce qui est devenu le titre d’une des pièces d’aubades.
«Je me sens comme Noé et Kevin» (Costner) résume Blais, déclenchant des rires du parterre au balcon ! «Je veux dire que j’ai construit toute cette musique avec mes amis et que ce soir vous êtes venus dans mon arche de Noé!»
Vous pourrez d’ailleurs bientôt monter vous aussi à bord de ce beau vaisseau, car Jean-Michel Blais sera en tournée, un peu partout au Québec, à compter de septembre prochain.