À première vue, Gros gars est un farceur! À la fois DJ, rappeur et poète à ses heures, ce personnage est l’alter-ego de l’auteur et comédien Mathieu Gosselin qu’on a souvent vu au théâtre, entre autres, dans la pièce J’aime Hydro et au petit écran dans C’est comme ça que je t’aime et M’entends-tu? Cet homme vit un dilemme : il s’en veut d’avoir pris l’habitude de tout remettre au lendemain. Mais, qu’est-ce qui se cache dans cette lutte intérieure?
Mathieu Gosselin reprend son premier spectacle solo dans la salle intime du Prospero. Dans une mise en scène de Sophie Cadieux, Gros gars nous accueille dans son décor : un capharnaüm où l’on trouve des caisses de lait, des chaussures de sport, des chandails suspendus sur des cintres, des livres, des CD, etc.
Avec autodérision, il évoque son enfance à la campagne et ses habitudes alimentaires : né «deep and delicious, double crème, triple chocolat », puis devenu « pizza pochette, pogo et bâtonnets de poisson». Son tour de taille ne l’a pas aidé dans ses relations avec les filles.
Dans ce journal intime plutôt ludique, il dialogue, en quelque sorte, avec son «double» qui est fortement enclin à la procrastination. Il parle souvent derrière le visage de Gros gars imprimé sur son t-shirt qu’il soulève et enlève à plusieurs reprises, laissant voir son torse grassouillet.
Spoken word, DJ-set, lecture de poèmes, etc., Gosselin a plusieurs tours dans son sac et ses goûts sont éclectiques : fiction, jeux vidéo, porno, etc. Il s’intéresse aussi à l’histoire des Égyptiens et à la naissance du rap. Il est fasciné par le musicien de jazz américain Louis Armstrong qui, dès les années 1930, se produisait très loin de chez lui , en Scandinavie. Le comédien passe du coq-à-l’âne, mais il sait ajouter son grain de sel à ces sujets disparates.
Derrière son discours apparemment décousu, il nous livre progressivement une part troublante de son intimité. On lui a tellement dit de se taire que Gros gars avait fini par se soumettre, résume Gosselin, en répétant «gros gars triste!».
Sans tomber dans le dramatique, ce solo vient souligner que le chagrin des gros gars et des gars en général n’a pas la cote. On ne veut pas en entendre parler. On reproche aux hommes de ne pas exprimer leurs sentiments mais, dès qu’ils le font, on les ridiculise volontiers avec des formules pseudo-humoristiques comme grippe d’homme.
Même si cette pièce n’évoque pas directement la banalisation de la souffrance chez les hommes, elle a le mérite de parler de la difficulté de vivre au masculin, une réalité souvent ignorée. À titre d’exemple, lors du dévoilement de statistiques sur le suicide au Québec, un texte publié par Radio-Canada ne nous apprend qu’au 26e paragraphe (!) que le taux de suicide chez les hommes en 2019 a été trois fois plus élevé que chez les femmes. Comme si c’était un détail secondaire!
De son côté, Gros gars ne va pas jusqu’à parler de suicide et il ne fait le procès de personne mais, il exprime sa profonde tristesse devant un monde où il n’y a plus vraiment de dialogue possible. Est-ce l’indifférence générale à son égard qui le paralyse? Sans vendre la mèche, disons que le comédien reste jusqu’au bout dans son personnage indécis, dont la prise de parole se distingue nettement du discours ambiant! Un spectacle amusant et utile!
Gros gars
Texte et interprétation : Mathieu Gosselin
Mise en scène : Sophie Cadieux
À la salle intime du Prospero, jusqu’au 18 février.