La crise d’Octobre qui a secoué le Québec en 1970, est le thème central du nouvel opéra de Tim Brady. Le prolifique compositeur et guitariste a fait appel à l’autrice de théâtre Mishka Lavigne pour écrire le livret bilingue de ce spectacle qui est créé à Montréal, en cette fin de semaine (27 et 28 avril) et dont nous avons déjà des photos. L’oeuvre aborde aussi des sujets qui étaient au coeur de l’actualité, en 1970, notamment, la lutte pour le droit à l’avortement. Entrevue avec l’idéateur de cet audacieux projet.
Né à Pointe-Claire, dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal, Tim Brady avait 14 ans, lors de la crise d’Octobre. «Il y avait des soldats et des hélicoptères dans mon quartier», se rappelle-t-il.
Ses souvenirs d’une période marquée par des attaques à la bombe et l’enlèvement de personnalités publiques lui ont inspiré ce nouvel opéra intitulé Information, dont la trame se déroule à Montréal, en octobre 1970.
«Depuis longtemps, je me disais que ces évènements dramatiques se transposeraient bien à l’opéra qui est en soi un art dramatique! Mais, je voulais que le livret soit écrit par quelqu’un qui n’était pas encore né en 1970, pour que cette personne ait une certaine distance par rapport à l’histoire.»
De fil en aiguille, le compositeur s’est tourné vers la dramaturge Mishka Lavigne qui a notamment reçu le prix littéraire du Gouverneur général pour sa pièce Copeaux.
La jeune femme a choisi de situer l’action dans des salles de nouvelles fictives de journaux francophone et anglophone.
On y trouve le personnage de Mary Vance (Marie-Annick Béliveau), une nouvelle venue dans le domaine de l’information; elle cherche à se frayer un chemin, dans cet univers hautement compétitif.
De son côté, le journaliste expérimenté Sylvain Leclerc (Pierre Rancourt) avance en âge et il croit être arrivé à la croisée des chemins. Il se demande si l’heure est venue pour lui de céder sa place à quelqu’un d’autre, après une carrière qu’il a vécu intensément, au détriment de ses relations familiales.
Ces journalistes se croisent et se parlent que ce soit en français ou en anglais et le sujet de l’heure est évidemment la crise d’Octobre. Les deux reporters finissent par collaborer étroitement à la couverture de l’enlèvement de James Richard Cross par le Front de Libération du Québec.
La librettiste a aussi observé certaines différences dans la manière de traiter l’information. Du côté francophone, on semblait davantage mettre l’accent sur le FLQ, alors que du côté anglophone, la couverture médiatique était dominée par des reportages sur les bombes dans les boîtes aux lettres, notamment à Westmount.
«C’est Mishka qui a perçu ces subtilités, à la suite de ses recherches dans les archives de journaux. Pour ma part, en 1970, je ne parlais pas encore français; je n’étais donc pas au fait de ces détails», souligne le Montréalais.
Époque opaque
Le tandem Brady-Lavigne aborde une autre question épineuse, à travers le personnage de Mary qui tombe enceinte et tente d’avoir recours à l’avortement, alors illégal. Rappelons qu’à cette même époque, à Montréal, le docteur Henry Morgentaler pratiquait des avortements, malgré la loi, ce qui lui a valu d’être arrêté puis, emprisonné.
D’autre part, l’intrigue nous ramène la voyageuse dans le temps (Jacqueline Woodley), qui était présente dans le premier opéra de Brady, Backstage at Carnegie Hall. Cette fois-ci, elle prend la forme d’une ballerine russe qui évoque les tensions liées à la guerre froide, en manœuvrant pour ne pas avoir à retourner en URSS, à la suite de ses représentations à Montréal.
Ce personnage mystique prédit de nombreux événements de la crise d’Octobre à Mary qui se demande si elle devrait utiliser ces révélations pour changer le cours de l’histoire. «Ce genre de questions philosophiques me trottent dans la tête depuis des années», confie le compositeur. «Est-ce que les humains y gagneraient, si on pouvait prédire l’avenir?»
Un clin d’oeil à Jimi Hendrix
La musique sera interprétée par quatre instrumentistes, au clavier, au violoncelle et au saxophone, alors que Tim Brady lui-même sera à la guitare. «Ma partition est très rythmée et inspirée de la musique modale jazz. J’aime aussi écrire de belles mélodies que les chanteurs prennent plaisir à interpréter.» Plus encore, le compositeur a voulu rendre hommage au légendaire guitariste afro-américain, Jimi Hendrix, décédé juste avant la crise d’Octobre, en septembre 1970. «Il y a dans l’opéra Information, deux citations de la pièce Purple Haze.»
La tétralogie de Brady
Ce nouvel opéra est le deuxième du cycle intitulé Hope (and the Dark Matter of History). Le premier opéra du cycle, Backstage at Carnegie Hall a été créé, à Montréal, au Théâtre Centaur, en 2022. The Mars Project (livret d’Alexis Diamond) et Sophia (livret d’Yvette Nolan), viendront compléter cette tétralogie de Tim Brady, au cours des prochaines années.
Information
Opéra présenté en français et en anglais
Musique: Tim Brady / Livret: Mishka Lavigne
Mise en scène: Anne-Marie Donovan
Chanteurs:
Marie-Annick Béliveau (mezzo-soprano)
Pierre Rancourt (baryton)
David Menzies (ténor)
Jacqueline Woodley (soprano)
Clayton Kennedy (baryton)
Musiciens:
Pamela Reimer (claviers)
Tim Brady (guitare électrique)
Jean-Marc Bouchard (saxophone)
Chloé Dominguez (violoncelle)
Directeur musical: Pascal Germain-Berardi
Décors et costumes: Nalo Soyini Bruce
En première mondiale, à l’Édifice Wilder (1435, rue De Bleury, Montréal)
Pour se procurer des billets, c’est par ici
Production Bradyworks, en codiffusion avec Chants Libres et Le Vivier
*Cet opéra d’une durée d’environ 110 minutes sera présenté avec entracte
*Crédit photo: Pierre-Etienne Bergeron