Anne Dorval et Steve Gagnon redonnent vie à la grande et tortueuse histoire d’amour entre l’actrice Maria Casarès et l’écrivain Albert Camus. Ces deux artistes légendaires du 20e siècle se sont écrits plus de 860 lettres durant leur relation, entre 1944 et 1959. C’est à partir de cette correspondance que Dany Boudreault a construit la pièce Je t’écris au milieu d’un bel orage, mise en scène par Maxime Carbonneau. Mais, ces échanges épistolaires suffisent-ils pour garder l’attention des spectateurs durant deux heures ?
Pas de doute, Anne Dorval est crédible dans le rôle de l’actrice adulée d’origine espagnole, considérée comme l’une des grandes tragédiennes du théâtre français. De son côté, Steve Gagnon a la stature pour incarner l’auteur du Malentendu et faire sien les mots de ce philosophe reconnu pour la profondeur de ses convictions politiques et humanistes.
Double vie

Camus et Casarès tombent amoureux en 1944. Elle a 22 ans et, lui, 31 ans. L’homme est marié et son épouse qui est restée en Algérie, attend la fin de la guerre pour le rejoindre en France.
La Libération signifie donc la rupture pour Albert et Maria. Ils vont toutefois se croiser, par hasard, quatre ans plus tard et ils resteront amants, jusqu’à la mort de Camus.
Ils s’aimeront toutefois, la plupart du temps, à distance, à cause de leurs obligations respectives. Leurs lettres traduisent leur désir et aussi leur suspicion, leur jalousie, etc.
Cela dit, Dorval et Gagnon insufflent une grande intensité aux moments de rencontres physiques entre les deux amoureux! Depuis leurs regards mutuels, jusqu’à leurs étreintes, tout n’est que passion entre eux!
Puisque le romancier s’est éteint à l’âge de 46 ans, c’est un Camus plutôt jeune qu’incarne Gagnon, durant tout le spectacle.
Quant à Casarès, Boudreault nous la présente d’abord jeune, puis, on la découvrira à l’aube de la soixantaine, se remémorant son histoire d’amour, bien après la mort de l’écrivain.
Dans un décor évoquant un plateau de télévision, Anne Dorval joue cette scène, alors qu’on la voit simultanément apparaître sur des tulles suspendus. Malheureusement, l’image n’était pas toujours bien cadrée lors de la représentation de samedi soir (21 janvier).
De plus, on perd des mots de la comédienne. L’agréable musique originale d’Antoine Bédard qui vient soutenir le récit, serait-t-elle trop présente ?
Quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire qu’il y a beaucoup d’action dans ce spectacle qui s’étire sur 120 minutes sans entracte. On finit d’ailleurs par se lasser d’être les observateurs de ces échanges de lettres, malgré l’ampleur des sujets abordés : Seconde Guerre mondiale, guerre d’Algérie, etc.
Une touche d’humour
Les amoureux se font aussi des confidences sur leur vie de tous les jours. Entre autres, Casarès qui est venue à Montréal en 1958, se moque de notre accent et recommande à Camus de ne jamais mettre les pieds dans cette ville provinciale qu’elle compare à Amiens et Luxembourg.
Ces deux célébrités ont bien entendu leur mot à dire sur plusieurs artistes. Pour sa part, Maria semble perplexe face au travail de Proust. Albert lui lit un extrait d’une oeuvre de l’auteur d’ À la recherche du temps perdu. Après un moment de silence, l’actrice commente : «C’est beau, mais c’est un peu long!» Cette phrase rejoint sans doute ce que plusieurs spectateurs ont ressenti durant Je t’écris au milieu d’un bel orage.
Loin des yeux, près du coeur
Par-dessus tout, ce qui fascine dans cette pièce, c’est la puissance des mots traduisant les sentiments de ces deux êtres assoiffés d’absolu. «J’attends le miracle toujours renouvelé de ta présence», écrit Maria à Albert. Pour sa part, Camus confie à son amoureuse, dans sa toute dernière lettre : «Je suis si content à l’idée de te revoir que je ris en t’écrivant.»
Vers la fin du spectacle, Casarès en arrive à une émouvante conclusion teintée d’espoir : «Quand on a vraiment aimé, on n’est plus jamais seul.» C’est tentant d’y croire, après le récit d’une si grande histoire d’amour !

Je t’écris au milieu d’un bel orage
D’après des lettres d’Albert Camus et Maria Casarès (1944-1959)
Idéation et adaptation : Dany Boudreault
Mise en scène : Maxime Carbonneau
Avec : Steve Gagnon et Anne Dorval
Au Théâtre du Nouveau Monde
Du 17 janvier au 19 février
*Crédit photo : Yves Renaud