Revue musicale des concerts donnés à la salle Francoys-Bernier les 21 et 22 juillet derniers à Ste-Irénée.
21 juillet 2017, 16h: Serge Rachmaninoff, préludes opus 23. no.4, opus 32 no.7 et opus 23.no.7 interprétés par le pianiste Philippe Chui, suivi du Trio pour piano et cordes no.1 en ré mineur opus 49 de Félix Mendelssohn ajoutant le violoniste Noah Bendix-Balgley et le violoncelliste Johannes Moser, pour clore avec le Sextuor pour cordes op.18 de Johannes Brahms intégrant le violoniste David Gillham, les altistes Miguel da Silva, Jocelyne Bastien et enfin la violoncelliste Elisabeth Dolin à Moser et Bendix-Balgley.
22 juillet 2017, 20h: Orchestre symphonique de Québec, Fabien Gabel, chef et Johannes Moser, violoncelle. Dvorak Concerto pour violoncelle en si mineur op.104 – Brahms Deuxième symphonie en ré majeur op.73
Ayant à nouveau gravi chacune des pentes verdoyantes et fleuries de notre beau pays de Charlevoix m’emportant vers le Domaine Forget, que puis-je vous en rapporter d’inoubliable qui puisse vous convaincre de vous rendre un jour goûter à l’élixir musical de longue vie qu’on y sert à profusion? Les concerts des 21 et 22 juillet derniers ont apporté leur moisson de mélopées envoûtantes pour oreilles virtuoses et mélomanes avertis.
Mea culpa, bien sûr… quand on a goûté à l’ivresse musicale telle une fontaine de jouvence enfin retrouvée, facile de s’y envoler d’un trait cinq heures de route de mon nid d’aigle du Mont Royal…j’y apporte les ailes empruntées à Mercure et ainsi, passent les heures de cônes oranges grâce à la plus grande expectative qui soit: le régal!
Jadis, j’avais le courage de me rendre là-bas à vélo et de ressentir des jours durant le vent dans ma chevelure ou sur ma peau de jeune damoiseau trop rêveur voulant arriver à destination romantique! Tout près de Baie-st-Paul, en amont des berges de Ste-Irénée, à présent, ce sont les damoiseaux et demoiselles de la musique classique de toutes provenances américaines et canadiennes qui se retrouvent un mois entier d’été après leur année d’études en faculté de musique au paradis du domaine Forget. Leur séjour de quatre ou cinq semaines, tel qu’ils ou elles me le racontent, font tout mon étonnement lorsque je les écoute parler du ravissement où ils se croient fortunés d’être invités puis réinvités au Domaine Forget! Tel contrebassiste du Texas me raconte à quel point il réalise en cinq jours d’études à Ste-Irénée, le travail habituel de tout un semestre universitaire, tel autre contrebassiste de l’État de Washington revenu une troisième fois abonde dans le même sens, un musicien du Texas louange la fraîcheur des embruns arrosant les pentes fleuries du domaine qui lui font prendre envol nordique dans la musique du nord de l’Europe, «enfin loin des canicules de mon désert entrecoupé de ranchs…», souligne t-il! Enfin, pour eux, ce mois dernier de travail les enchante, car ces élèves en formation ont la chance d’être sous la férule ou l’enchantement des professeurs solistes ou chambristes à ces concerts-apéro ou symphoniques, en recension ici .
La beauté partout présente ne fait qu’ajouter à l’atmosphère d’ivresse exaltante dont je parlais en amorce, car écouter de jeunes musiciens en véritable extase à propos d’un lieu ne peut que conduire à la mise en relief exacte ou saisissante des oeuvres qu’ils nous offrent en audition.
En relief, la passion quasi extatique des interprétations de Johannes Moser
Si je retiens quelques moments de ces récitals et concerts, qu’il me soit permis de saluer le travail de Philip Chiu que j’entends régulièrement depuis tant d’années, salle Pollack, dans le cadre de son travail immense avec les élèves de la faculté et du conservatoire de McGill. Des trois préludes qu’il a joués en solo, l’opus 23 no.7 fut le mieux réussi côté diction et articulation sonore mais c’est son rôle habituel qui lui sied le mieux, celui d’accompagner, rôle qui lui a fait prendre en vérité la fonction de locomotive de l’oeuvre du moins dans le trio de Mendelssohn notamment au deuxième mouvement qui semble écrit comme un autre Chant sans parole .
Tous ces chambristes sus-mentionnés ont surtout produit une interprétation à ravir de l’opus 18 de Brahms, ce sextuor rarement entendu de par ses exigences car il y faut réunir l’excellence six fois en un même lieu et c’est une oeuvre célèbre à propos de laquelle ce que dit le brillant Claude Rostand dans son magnifique Brahms, publié chez Fayard, biographie datant de 1958 -735 pages de pures délices… toujours réédité et disponible sur les rayons chez Archambault soit dit en passant- résume exactement ce que nous y entendons chaque fois qu’on en fait ou refait l’audition: «C’est la première oeuvre de Brahms qui ait atteint une célébrité immédiate, et un succès aussi vif et généralisé. Elle plut aussitôt par sa fraîcheur, sa tendre poésie, son sentiment heureux, son ingénuité, et tout le monde, à l’époque, la compara aux plus belles réussites de Mozart de par le jaillissement de son inspiration et la perfection de sa forme.»
Et c’est exactement ce que j’y ai toujours entendu.
L’orchestre de Québec dans Dvorak et Brahms
L’opus 102 de Dvorak précédait la seconde symphonie de Brahms, lui qui a tout fait de son vivant pour faire connaître Dvorak, ne cessant de l’encenser et d’en faire l’éloge au sein de son important cercle d’amis.
Pour moi, je dois le dire, je découvrais Johannes Moser comme violoncelliste. Il a eu le topos de modestie affectée d’avouer au public présent lors d’un des deux concerts «qu’après une semaine entière à dire à tous ces élèves ici comment jouer, je me retrouve un peu malaisé sur cette chaise de prétendre maintenant bien jouer…». C’est une façon bien humble de se présenter quand on a une telle verve musicale que ses coups d’archet volent de gauche à droite avec la puissance foudroyante d’un fouet sinon la vibrante expression des arrache-coeurs les plus mélancoliques!
Sur le plan orchestral, je me retrouve toujours impuissant à comparer les orchestres sous divers chefs brillants et accompagnant des solistes du violon et du violoncelle pour des raisons manifestes. Les versions qu’on a entendues d’une oeuvre jouée par tels orchestres en concert, dans telles salles, toujours toutes fort inégales, surtout les dialogues si importants entre sections orchestrales et les solistes bénéficiant de la vigueur inégalable du concert en direct, il y a là une somme incalculable de possibilités et de moments et je me vois mal dire Moser jouait ici ou là aussi magnifiquement que Pierre Fournier sous Scherchen! Et pourtant, ce fut spontanément ce que je pensai. Adieu Yo-Yo Ma adieu Piatigorski ou même Rostropovich.
Sans prendre en compte l’apport non négligeable de la personnalité de chacun des instruments eux-mêmes sur lesquels jouent ces grands virtuoses, puisque les précieuses factures portent amplement loin en personnalité la sonorité particulière d’un artiste, il est cependant vrai de dire que toute analyse comparative des interprétations est parfois malaisée. Mais pour le bienfait des distinctions les plus fines à nuancer à propos du langage, il faut s’y adonner pour donner les dimensions justes de la stature d’un interprète.
Un enregistrement du concerto pour violoncelle de Dvorak par Moser sur étiquette Pentagone datant de 2015 avec la Philarmonia de Prague et couplé avec le concerto pour violoncelle de Lalo fut largement dépassé en intensité par la prestation de Moser avec l’orchestre de Québec . L’auditoire en fut subjugué et un rappel généreux d’une Sarabande fut offerte par le soliste, tirée d’une des suites pour violoncelle de Bach . Malheureusement ce fut la récompense empoisonnée d’une maladresse égorgeant toute inspiration finale (puisque hélas sabotée par un cellulaire négligemment tenu ouvert…aux premières loges à part ça!) . Nous en fûmes quitte, après avoir noyé notre peine en entracte, pour une deuxième symphonie de Brahms fort rêveuse et sereine, pas du tout avec l’approche torturée et violente qu’on lui donne parfois.
J’entendais le chic Fabien Gabel pour la seconde fois (la première fois avec un orchestre montréalais), élégant, sobre, ayant à faire avec les pupitres valeureux de l’OSQ: il m’a fait penser, en finesse, à Nézet-Séguin au tout début de son association avec l’orchestre métropolitain alors que cet orchestre avait à peu près le niveau de l’orchestre de la capitale nationale. Là s’arrête la comparaison, la boule de feu qu’était le jeune Yannick annonçait des éruptions volcaniques de toutes sortes et qui se poursuivent. Sous Gabel j’ai écrit les mots «adresse soignée, il laisse le soliste insuffler l’âme à l’oeuvre au tempo désiré, ravi de tant de dialogues soignés!» Sous Moser j’ai annoté quelques détails dont «Moser est éblouissant, touchant de dextérité, d’empressement, d’alacrité, tantôt de gaieté de jeu, tantôt de bouleversante émotion. Il se sait grand virtuose au sommet de son art!»
Voilà mes folles impressions insignifiantes d’ancien jeune homme passionné de musique et qui refuse de vieillir autrement qu’en s’émerveillant que tant de jeunes musiciens profitent magistralement de ce domaine Forget.
Je demande donc…oh, je me reprends… j’exige à tous les dieux de cet Olympe qui doit exister quelque part…une prochaine réincarnation pour y survenir un jour, à mon tour, dans un autre corps, sous un autre nom, défiant toute injustice irréparable me refusant le rêve de pouvoir étudier ici en Charlevoix, pour faire grandir en moi le musicien putatif ou sommeillant, et j’attendrai jusque dans une autre vie!