Avant d’en venir au concert lui-même, je tiens à souligner qu’encourager les jeunes musiciens appelés à remplacer les musiciens d’orchestre qui tireront un jour prochain leur révérence constitue une mission d’importance capitale. L’excellente idée d’inviter des chefs reconnus à se mettre à leur tête -ne serait-ce que sept heures de temps à la tête des ensembles symphoniques universitaires du Québec- c’est décupler la ferveur de nos jeunes musiciens dévoués à l’étude de la musique.
On ignore généralement que de très grands chefs sont venus gracieusement à Montréal pour diriger l’OSM naissant, plusieurs fois même sans réclamer de cachet pour ensuite devenir même titulaire du bâton. Ainsi vint à nous l’inoubliable Otto Klemperer, puis le célèbre Charles Munch et surtout le francophile Bruno Walter (il parlait parfaitement français comme Menuhin, Rubinstein, Horowitz et tous les très grands interprètes de haute stature et d’éducation soit dit en passant). Ce bénévolat, c’était pour encourager la naissante Société des concerts symphoniques de Montréal (SCSM) qui deviendra en 1954 l’Orchestre symphonique de Montréal.
Puisque le concert du 13 février à la Maison Symphonique célébrait la ferveur scolaire et la lucidité de jeunes étudiants universitaires, soyons pédagogiques et mentionnons deux livres que tous les étudiants en musique de McGill devraient lire (et de la faculté de musique de l’Université de Montréal qui ont accueilli avec leur orchestre Monsieur Nagano à la salle Claude Champagne en décembre dernier, le soir même où se produisait Lucas Debargue à la Maison symphonique): en premier, le livre intitulé Une symphonie inachevée (Éditions Leméac, 1972, 275 pages) écrit par Wilfrid Pelletier (oui, on a baptisé une salle de la Place des Arts en son honneur). Le second ouvrage, c’est cet ouvrage non traduit de Pierre Béïque, ce valeureux administrateur et mélomane par lequel on a baptisé pour lui faire honneur l’orgue gigantesque de la nouvelle salle symphonique . Ce second livre s’intitule Ils ont été la musique du siècle (2001, à compte d’auteur, 194 pages,ISBN2-9807123-0-2). Ces ouvrages, élevés en réflexions, n’existent qu’en français mais résument bien la dynamique de notre vaillante ville s’étant faite capitale musicale classique et métropole culturelle indiscutable d’un océan à l’autre.
L’histoire du Québec comporte des faits marquants sur le plan musical: une rivalité entre deux communautés linguistiques désireuses de se distinguer et de mener leur barque. La première qui tenait le haut du pavé voulut le faire seule en excluant délibérément la seconde. La seconde communauté qui la détrôna de son Montreal Orchestra voulut réconcilier tout le monde et créa l’Orchestre symphonique de Montréal sous le nom de Société des concerts symphoniques de Montréal (SCSM). En 1954, cet ensemble devient l’OSM à la tête duquel oeuvre aujourd’hui M. Kent Nagano.
Comment cela est-il advenu, je veux dire cet essor musical francophone et anglophone montréalais?
Voici ce qu’explique fort bien, parmi mille choses captivantes, le regretté Pierre Béique car il y eut un épisode de rivalité mesquine entre Douglas Clarke, chef d’orchestre en 1934 du Montreal Orchestra refusant d’accueillir les musiciens québécois de souche malgré la demande d’Athanase David (le grand prix artistique québécois Athanase David tient de lui son origine) et sa femme Antonia qui devront, de hargne, démissionner du conseil de cet orchestre pour fonder un orchestre désireux de jouer à l’est de la rue saint-Laurent (Auditorium du Plateau). Pierre Béique, administrateur de l’OSM pendant presque 70 ans est donc l’auteur crédible à lire pour tous les étudiants désireux de comprendre intelligemment l’importance de la musique dans la société québécoise et surtout dans la ville bilingue de Montréal. Ce remarquable ouvrage parle abondamment, d’une époque de petitesse de dédain socio-économique : «Antonia David siégeait avec trois autres francophones, Paul Tétrault, René du Roure et Henri Letondal, au conseil d’administration du Montreal Orchestra, dirigé par Douglas Clarke, auparavant violoncelliste, critique musical et comédien. Lors d’une réunion, Madame David, forte de l’appui implicite de ses compatriotes, suggéra au maestro de faire une place plus grande aux musiciens canadiens-français, ne serait-ce que pour faire respecter la dualité socio-culturelle de la ville. Une telle requête se butait invariablement à une fin de non-recevoir. Cette fois, Mme David se montra plus audacieuse que jamais en précisant tenir particulièrement à ce qu’on invitât Wilfrid Pelletier dont la carrière au Metropolitan Opera de New York était en plein essor. Devant le refus catégorique renouvelé de Clarke et constatant tout compromis impossible, elle quitta sur le champ le Montreal Orchestra. Mis au courant, Monsieur (Athanase) David approuva sans réserve la prise de position courageuse de son épouse et décida avec elle de fonder un second orchestre.» (loc.cit. page 43-44)
Ainsi naquit l’ancêtre de l’OSM dont Wilfrid Pelletier prit la direction faisant la navette entre le Metropolitan Opera Orchestra de New York qu’il dirigeait souvent alors et Montréal. Ainsi, quelque temps plus tard, le jeune Pierre Béique s’engagea dans le chemin de lumière de sa bonne étoile, à la tête de la trésorerie de la SCSM (futur OSM). Wilfrid Pelletier et lui étaient de grands amis. Béique eut été invité au célèbre Banquet de Platon s’il eut vécu à l’époque de la grande Athènes de Périclès, croyez m’en.
Aujourd’hui, notre ville est remplie de musiciens fabuleux et notre OSM qui a connu le plus spectaculaire succès commercial du disque classique est reconnu mondialement. Mieux encore, un second orchestre rivalise de qualité et de rendement avec lui en l’Orchestre métropolitain dirigé et trimballé en Europe par le réputé chef québécois Yannick Nézet-Séguin. En réalité, cet orchestre a le vent en poupe ou disons dans les voiles par la ferveur, le coeur au ventre et la passion absolue de son chef électrisant ses musiciens. L’épisode du Montreal Orchestra supplanté se renouvellera t-il si le prochain chef de l’OSM (car Nagano partira bientôt) n’a pas au moins la fougue de s’adresser au public en français et la créativité débordante d’un inspiré? De la chaleur, de l’exubérance, de la conscience de ce qu’est la fête montréalaise? Car ce devait être un esprit festif qui eût dû animer le concert mémorable de l’ensemble universitaire de McGill ce 13 février. Or, certes M. Nagano n’a pas le visage radieux de la plus belle époque de son arrivée à Montréal et je serais attristé de le savoir d’âme ou de corps mal en point, mais il me semble qu’un peu de chaleur en rappel, une pièce comme encore, une lumière de réjouissance eut fait de cette soirée un véritable succès estudiantin. Pourquoi sommes-nous si loin avec lui de la folie de la jeunesse éternelle de Nézet-Séguin? Pourquoi tant de froideur bienséante hyper chic ou de retenue?
Puisque le concert de ce 13 février comportait de magnifiques oeuvres parlons-en. Et si je devais souligner que l’on n’a pas parlé au public malgré que ce fut un concert universitaire? Un public universitaire ignorant comment lire un programme de concert (cela serait faisable de montrer à des universitaires faisant tout l‘auditoire comment lire un programme, qu’est-ce qu’une suite de mouvements, ce que veulent dire Andante, Lento, Larghetto, Allegretto, Allegro, Scherzo, Presto!). C’est tout de même pathétique que des universitaires ne sachent pas lire et distinguer les quatre mouvements de la première symphonie de Schumann et qu’ils applaudissent à tout bout de champ. Nézet-Séguin parle à son public, chaque fois, et en est-il diminué pour autant? On a le prestige de jouer dans une grande salle mais on n’éduquait hélas pas ce soir du 13 février 2018 les plus scolarisés de la société venus entendre leur ensemble universitaire, tous nécessiteux d’être éduqués. Ceci est un manquement à l’esprit éducatif de la mission musicale tel que Wilfrid Pelletier l’a inculquée à notre nation avec les Matinées symphoniques, la création des Conservatoires du Québec, le Prix d’Europe, les Jeunesses musicales, les concours musicaux du Québec et du Canada, l’orchestre des jeunes du Québec, le CMIM, les fabuleuses études au Domaine Forget, tout comme au camp musical d’Orford, c’est sûr que j’en oublie… etc. En somme, je dis qu’il est temps de continuer d’instruire avec ferveur et de commencer tout de suite à parler passionnément de musique au public, de l’élever jusqu’à la musique en la lui racontant et la lui expliquant, en lui en parlant directement. C’est 60 pour cent du succès de l’Orchestre Métropolitain qui réside dans cette diffusion orale vulgarisée des chefs d’oeuvre du plus grand de tous les arts, celui qui parle au coeur humain sans rhétorique politique. Donc, le programme imprimé doit être élucidé.
L’Idylle de Siegfried de Wagner fut une oeuvre jouée avec retenue et velouté, ce qui est la marque de commerce de Nagano. Les solos de hautbois de Yewon Kim, ceux de tous les flûtistes, ceux du cor Shane Conley, de la contrebasse Renaud Boucher-Browning ont captivé l’auditoire. Mais c’est dans la Sérénade d’après le dialogue Le Banquet (Platon) de Leonard Bernstein qu’il me faut souligner l’agréable duo entre le professeur violoniste invité Andrew Wan et le radieux violoncelliste Jacob Efthimiou : au coeur de ce dialogue d’amour indicible, on se rappela les passages émouvants du dialogue envoûtant entre le cher Socrate et ce très bel Agathon, délices aussi grecs sur la scène que dans le brillant ouvrage de Platon! Bravo aux répétiteurs de section pour avoir offert un si beau résultat symphonique en cette Sérénade trop méconnue.
L’autre oeuvre que les étudiants avaient le plus travaillée avec Nagano, manifestement, vu l’excellence du rendement, fut la symphonie de Schumann dite Le printemps. L’orchestre a joué tout ça comme nos bons orchestres d’un océan à l’autre, d’ailleurs les progrès des ensembles universitaires à Montréal, depuis quinze ans, sont surprenants.
Je termine cette recension sur un fait divers pour annoncer un événement annuel à ne pas manquer: il y a, en semaine de la mi-semestre, un événement que j’aime suivre chaque année à la faculté de musique de l’Université McGill et c’est le concours de concerto. J’ai posé la question en français aux quatre jeunes filles présentes au lobby du parterre à une supposée table d’accueil : «Quand aura lieu cette année le concours de concerto?» exprimait ma simple question. Une seule, au bout d’un long moment de conciliabule interloqué, parmi ces quatre, parlait un tout petit petit peu le français…mais ne put pas même me donner de date précise. Pour des jeunes au cerveau rempli de neurones de vingt ans d’âge et fort vigoureux, l’ignorance quasi totale de notre langue française est plus que lamentable, à Montréal, c’est une insulte à une table d’accueil universitaire et je me dois de le mentionner même si une douzaine de musiciens francophones oeuvrent dans l’orchestre de McGill et que l’ensemble n’est pas fermé aux francophones puisque les programmes sont traduits, mais tout de même, en 2018, comment un francophone doit-il se sentir? Comme au temps cauchemardesque et revenant peut-être où, chez Eaton, on faisait la sourde oreille à nos questions avec une insolente moue d’indifférence? Il est temps de revoir l’esprit animant ces incongruités inacceptables à McGill et de nous donner des infos réelles et justes, pas seulement un programme imprimé en septembre et qui est loin de tout révéler de manière exhaustive ni pleine exactitude.