La Dame aux Camélias renaît, grâce aux Grands Ballets, dans une ingénieuse relecture du roman d’Alexandre Dumas fils. Comment raconter, aujourd’hui, cette dévorante histoire d’amour entre une prostituée et un jeune homme de la bourgeoisie parisienne du XIXe siècle ? Le chorégraphe canadien Peter Quanz a eu l’audacieuse idée de constituer trois couples de danseurs qui interprètent les rôles de Marguerite et Armand à différentes étapes de leur tragique histoire. En tout, une quarantaine de danseurs des Grands Ballets sont mis à contribution pour ce spectacle à grand déploiement présenté avec l’Orchestre des Grands Ballets.

Photo : Sasha Onyshchenko
D’entrée de jeu, un danseur, tout de noir vêtu, s’avance sur scène. Il incarne Le Narrateur. Une feuille de papier tombe du plafond puis, la voix enregistrée de Jonathan Michaud vient situer l’histoire, avec un court extrait du roman de Dumas fils, librement adapté par Quanz: «…quand Dieu permet l’amour à une courtisane, cet amour, qui semble d’abord un pardon, devient presque toujours pour elle un châtiment. Il n’y a pas d’absolution sans pénitence.»
Le coeur du drame est ainsi annoncé. C’est là un choix judicieux car, il ne faut pas présumer que tous les spectateurs ont lu ce livre publié en 1848, si célèbre soit-il.
Ce prologue bien ficelé est marqué par l’entrée en scène des trois couples qui dévoileront chacun l’un des thèmes du ballet, soit : L’Amour, Le Sacrifice et L’Abîme.

Photo : Sasha Onyshchenko
Ballet néoclassique
En ce soir de première, le tableau de L’Amour naissant entre Marguerite Gautier et Armand Duval est interprété par Rachele Buriassi et Esnel Ramos. Enjoués, ces deux danseurs évoquent la légèreté et l’harmonie qui animent les amants heureux. Malgré les préjugés et la désapprobation sociale, il se retirent à la campagne et ils respirent le bonheur!
Mais, tout va changer avec la visite de Monsieur Duval (James Lyttle), le père d’Armand, qui implore la courtisane de renoncer à cet amour scandaleux et de sauver la réputation de son fils. Dans ce tableau, Anya Nesvitaylo incarne Marguerite qui acceptera Le Sacrifice, à son corps défendant. Elle encaisse le choc, comme si elle était secouée de spasmes! Habile comédienne, la danseuse nous montre aussi qu’elle dissimule sa maladie, la tuberculose.
Quant à son amant, interprété avec justesse par Roddy Doble, il semble flotter sur scène, car l’amoureux fou ne sait pas encore qu’une douloureuse rupture l’attend.
Après l’entracte, Maude Sabourin réussit à s’imprégner des émotions dégagées par les deux premières Marguerite et elle pousse encore plus loin la gestuelle évoquant la désolation. Dépouillée de son amour et rejetée de tous, la courtisane agonisante titube.
Pour sa part, Raphaël Bouchard devient Armand, envahi par la colère, car il ne comprend pas pourquoi Marguerite l’a abandonné. Le chorégraphe passe toutefois plutôt rapidement sur le drame de l’homme qui est pourtant lui aussi terrassé par cette rupture. À mon sens, c’est une des rares faiblesses de cette chorégraphie éblouissante et limpide, de style néoclassique, aux accents romantiques.
Par définition, le ballet néoclassique désigne les chorégraphies basées sur la danse classique tout en ayant recours à des effets d’articulations brisées, des sorties d’axe, etc. Peter Quanz a su trouver un équilibre où la danse épouse remarquablement ce récit d’un amour impossible, avec, entre autres, des duos et des solos exécutés avec virtuosité.
La beauté éphémère et fragile du camélia, dont la fleur ne dure qu’un jour, a inspiré la conceptrice des costumes Anne Armit et le créateur des décors Michael Gianfrancesco, à travers leur évocation de la mondanité parisienne. Entre autres, le rouge des robes des danseuses se marie momentanément aux rideaux vaporeux, sous les éclairages de Marc Parent. Splendide! Cela dit, dans cette production soignée, quelques lustres, un canapé ou alors des meubles en rotin suffisent à évoquer des changements de lieux.
La musique
La trame musicale regroupe des extraits d’oeuvres de Carl Maria Von Weber et de compositrices de différentes époques, soit: Lili Boulanger, Louise Farrenc, Kaija Saariaho, Fanny Mendelssohn et Clara Schumann. Certains morceaux sont joués au piano directement sur la scène, alors que d’autres sont interprétés par l’Orchestre des Grands Ballets sous la direction de Dina Gilbert. Le tout peut sembler disparate, mais l’arrangeur Florian Ziemen a réussi à lier ces pièces qui s’avèrent appropriées aux différents états d’âme habitant ce spectacle de plus de deux heures, incluant l’entracte, et qui ne manque pas de rythme!
Un sommet d’émotion
Dans le tableau final, les trois couples de Marguerite et Armand se retrouvent face à la mort, alors que la Dame aux Camélias s’éteint. Comme au début du spectacle, une feuille de papier tombe du plafond, puis, elle est suivie de plusieurs autres. Elles tourbillonnent, comme des symboles d’une beauté éphémère. Par moments, l’un ou l’autre des Armand saisit l’une des feuilles et prend le temps de la lire. On comprend que l’amant réalise enfin la profondeur du sacrifice de sa bien-aimée.
Tout se déroule au ralenti dans cette scène immensément triste et pourtant d’une grande douceur! Un rêve à demi-éveillé, poignant et mystérieux… d’une beauté à faire jaillir les larmes des yeux!
La Dame aux Camélias
Chorégraphie : Peter Quanz
Avec les Grands Ballets
À la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts
19, 20, 21, 26, 27, 28 octobre 2023 à 20 h et le 28 octobre à 14 h