Joyau de la dramaturgie américaine, La ménagerie de verre revient hanter le Théâtre Denise-Pelletier, avec une distribution de haut vol! Entre autres, Marie-Hélène Thibault est magistrale dans son rôle de mère étouffante qui finit par faire éclater le fragile équilibre de sa famille. Quant au jeune Tom, personnage central de ce drame et alter ego de Tennessee Williams, il est incarné avec brio par l’acteur noir Fabrice Yvanoff Sénat. Grâce à la traduction de Fanny Britt et la mise en scène d’Alexia Bürger, ce texte écrit il y a 80 ans demeure percutant!
Le matriarcat démasqué
«Assis!», lance Amanda, comme si elle parlait à un chien, mais il n’en n’est rien. C’est plutôt le ton menaçant qu’elle prend pour ordonner à son fils de s’asseoir! Même si Tom n’est plus en enfant, il obéit. En fait, il se plie depuis longtemps déjà aux diktats de sa mère. C’est pourquoi il renonce à ses rêves et travaille dans un entrepôt afin de subvenir aux besoins de sa famille, notamment, de sa soeur Laura qui est boiteuse et neurasthénique. Sans tomber dans le pathos, Elisabeth Smith réussit d’ailleurs à nous émouvoir, en se glissant dans la peau de cette jeune femme aussi fragile que les animaux de verre qu’elle collectionne.
Non seulement Tom doit rapporter de l’argent mais, sa mère s’attend à ce qu’il recrute, parmi ses collègues de travail, un prétendant pour Laura. Lorsqu’il aura trouvé celui qui deviendra le mari de sa soeur, Tom pourra quitter le nid familial promet Amanda qui, en attendant, maintient son emprise sur son fils, sans jamais se préoccuper de ce qu’il ressent.
En fait, on ne discute pas avec la cheffe de famille qui a réponse à tout. Elle sait comment ses enfants devraient se comporter. Elle reproche, entre autres, à son fils d’aller trop au cinéma, de rentrer trop tard, etc. Plus encore, elle accuse le jeune pourvoyeur d’être égocentrique, dès qu’il menace de quitter son travail qu’il abhorre pour aller vivre sa vie sous d’autres cieux.
Tout en faisant la leçon aux siens, malgré sa vie ratée, Amanda entretient des relents de vanité; elle répète volontiers à quel point elle a brillé auprès de nombreux soupirants durant sa jeunesse! Pourtant, elle a choisi un homme qui a fini par la quitter mais, bien sûr, c’est lui qui est fautif.
Le mari, ce fournisseur de services gratuits
Dès que Tom annonce à sa mère avoir invité à souper un collègue qui pourrait peut-être devenir l’amoureux de Laura, l’euphorie s’empare d’Amanda! Elle veut évaluer le potentiel de cet éventuel mari qui doit être, d’abord et avant tout, un bon fournisseur de services gratuits. Quel est le salaire de cet homme? Fait-il suffisamment d’argent pour faire vivre une famille? A-t-il des ambitions qui pourraient lui permettre d’augmenter son niveau de vie?
Sans scrupule, Amanda imagine toute une mise en scène pour en mettre plein la vue au visiteur. Elle va même jusqu’à rembourrer le soutien-gorge de Laura dont la poitrine ne serait pas assez volumineuse. Il faut que les filles soient des «pièges» pour les hommes, tranche la mère dans un verdict sans appel possible.

Crédit: Victor Diaz Lamich
Après avoir difficilement surmonté sa timidité, Laura se retrouve en tête-à-tête avec Jim, un garçon dont elle a été secrètement amoureuse, durant son adolescence. Thomas Derasp-Verge est à l’aise comme un poisson dans l’eau dans ce rôle de rêveur et artiste dans l’âme. En quelques minutes, on sent une brise d’émotions bienfaisantes flotter sur les deux jeunes gens. Ils danseront d’ailleurs, les yeux dans les yeux, une valse qui s’avère l’un des moments les plus lumineux du spectacle! Pourtant, quelques mots suffiront pour anéantir subitement cette complicité naissante.

Crédit: Victor Diaz Lamich
De ce spectacle d’environ une heure et demie sans entracte, on retient que Tennessee Williams s’est intéressé à tout un pan de la psyché féminine qui est rarement mis en lumière. C’est l’une des forces de cette pièce.
D’autre part, on n’explique aucunement le fait que, dans cette distribution montréalaise, Tom soit noir dans une famille blanche. Mais, cela n’entrave pas la progression de l’histoire. On comprend vite que le jeune homme n’est pas à l’aise dans ce sombre univers, où sa mère le retient au moyen de la culpabilité.
Plus encore, Tom finira par imiter son père et quitter ce foyer toxique. C’est ainsi que le fantôme paternel, décrié durant toute la pièce, devient malgré tout une source d’inspiration pour le fils. Décidément, ce texte puissant revêt un caractère judicieusement audacieux de nos jours. Bien joué!
La ménagerie de verre
Texte: Tennessee Williams
Traduction: Fanny Britt
Mise en scène: Alexia Bürger
Avec: Marie-Hélène Thibault, Fabrice Yvanoff Sénat, Elisabeth Smith et Thomas Derasp-Verge
Au Théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 9 avril
*Photo d’accueil : Marie-Hélène Thibault et Fabrice Yvanoff Sénat / Photos fournies par le TDP