Après une adaptation théâtrale percutante du roman d’anticipation 1984 (George Orwell), le Théâtre Denise-Pelletier frappe encore fort, avec Le Meilleur des mondes. Ce célèbre récit de science-fiction d’Aldous Huxley, paru en 1932, est au coeur de la pièce pratiquement sans temps morts, de Guillaume Corbeil, qui fait ressortir de préoccupantes ressemblances avec notre époque. La société axée sur le bonheur à tout prix, imaginée par l’auteur britannique il y a près d’un siècle, existe bel et bien aujourd’hui, semble nous dire l’auteur de Cinq visages pour Camille Brunelle et Unité modèle.
Dans Le meilleur des mondes, où l’on a volontiers recours à la technologie pour que tout soit parfait, en apparence du moins, Bernard, lui, se croit différent des autres et il en souffre. Simon Lacroix est hilarant dans ce rôle ! La vie de cet être tourmenté sera d’ailleurs chambardée par l’arrivée de deux visiteurs: Linda (Kathleen Fortin méconnaissable) et son fils John, incarné avec brio par Benoît Drouin-Germain. Ce dernier lit Shakespeare, alors que les livres sont interdits. Le jeune homme veut aimer, mais l’amour n’est pas valorisé dans cette société plutôt axée sur l’assouvissement des désirs. Les questionnements de John perturbent Bernard, plus que jamais déchiré entre ses rêves et son souci de se conformer. De son côté, Macha Limonchik incarne une «Administratrice» qui défend farouchement l’ordre établi. Pour elle, il est loin d’être regrettable que les humains délaissent leur humanité, car cette voix n’est pas porteuse d’harmonie, comme en témoignent les multiples conflits de l’Histoire.
Tout cela est empreint d’un humour décapant, faisant écho au culte de l’apparence et à l’omniprésence de la publicité, jusqu’à la mort ! Il est même question d’un forfait incluant civière et crémation. À tout moment, les protagonistes interrogent leur appareil à commande vocale qui n’est pas sans rappeler le «Google Home Mini» et qui a réponse à tout. La mise en scène de Frédéric Blanchette nous transporte d’un lieu à un autre en un rien de temps, grâce, entre autres, à des projections vidéo sur un immense drap blanc tendu autour de la scène.
Durant 1 h 45, il y a une abondante matière à réflexion pour tous, mais peut-être encore davantage pour le public adolescent, notamment, lorsqu’il est question d’orienter les vies en fonction des besoins du système, en se dirigeant vers des métiers qui répondent aux exigences du marché. Même si le texte est dense, on n’en perd pas le fil; par contre, des mots nous échappent, une fois de plus, dans cet immense théâtre.
Enfin, on quitte la salle en pensant au personnage de John qui croit que le théâtre peut réapprendre aux humains à rire et pleurer et on se dit que la pièce Le meilleur des mondes tend à lui donner raison.
Le meilleur des mondes
Texte de Guillaume Corbeil, d’après l’oeuvre d’Aldous Huxley
Mise en scène: Frédéric Blanchette
Avec : Ariane Castellanos, Benoît Drouin-Germain, Mohsen El Gharbi, Kathleen Fortin, Simon Lacroix et Macha Limonchik
Au Théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 25 octobre