Le Petit Prince, présenté en webdiffusion par le TNM en collaboration avec l’Orchestre métropolitain, est un baume pour nos coeurs meurtris par la pandémie. Les réflexions sur le sens des priorités aux yeux de ce célèbre personnage d’enfant tombent à point, en cette période de remises en questions. L’habile mise en scène de Sophie Cadieux est en constant dialogue avec la musique d’Éric Champagne, dirigée par Yannick Nézet-Séguin. Renaud Lacelle-Bourdon campe un Petit Prince plutôt adolescent qu’enfant, entouré d’une brochette de comédiens impeccables.
On dit que le conte philosophique de Saint-Exupéry, paru en 1943, est l’oeuvre la plus traduite au monde, après La Bible. Chose certaine, cette fable tape encore dans le mille en 2020. Alors que la crise sanitaire nous ramène à un devoir de solidarité, à un souci de l’autre, le Renard (Sophie Desmarais) enseigne au Petit Prince les bienfaits de l’apprivoisement et porte candidement des répliques fondamentales de l’oeuvre, dont : «on ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux.» La comédienne incarne aussi la Rose, belle, vaniteuse et fragile, sous la plume nuancée de l’écrivain français qui évite, en général, de juger ses personnages.
En quelques ondulations du bassin, Vincent Andres Trelles Turgeon se fait Serpent, qui malgré son physique ingrat ne s’en laisse pas imposer. «Tu n’es pas bien puissant… tu n’as même pas de pattes…», lance le Petit Prince. «Mais je suis plus puissant que le doigt d’un roi, dit le serpent.»
Jean-François Casabonne prouve, une fois de plus, son savoir-faire en faisant ressortir avec tendresse l’illusion du pouvoir d’un Roi, puis d’un Businessman. Quant à Benoît Brière, il est tantôt pathétique, tantôt hilarant en ivrogne qui boit pour oublier qu’il a honte… de boire. Brière incarne aussi le Coquet qui sollicite et obtient les applaudissements de tout le plateau, les musiciens se prêtant volontiers au jeu.
Fayolle Jean endosse avec aplomb le rôle du pilote dont l’avion vient de s’écraser dans le désert, ce qui lui permettra de rencontrer Le Petit Prince qui va ultimement transformer sa vision du monde. Quant à Renaud Lacelle-Bourdon, il a su trouver le ton pour que les mots de cet enfant qu’est le Petit Prince sonnent juste dans la peau d’un adolescent ou d’un jeune homme. Bref, tous les comédiens font qu’on y croit.
La belle partition pour quintette à vent d’Éric Champagne joue un rôle comparable à la musique dans les dessins animés. Elle s’éclipse souvent durant les dialogues, puis elle vient dynamiser les déplacements des personnages ou traduire leurs émotions comme le fait la flûte nostalgique, après la tirade du Petit Prince sur la fragilité des roses.
D’une certaine façon, on peut dire que c’est la musique qui a le dernier mot, en marquant une sorte de marche funèbre des personnages, après les déchirants adieux du Petit Prince à l’aviateur.
À toutes ces qualités s’ajoutent une captation soignée où les caméras sont généralement aux bons endroits aux bons moments, alors que les dialogues et la musique sont parfaitement audibles. Pour rester dans le ton, disons que c’est un moment de théâtre tombé du ciel, en ce temps de disette théâtrale.
Le Petit Prince / Texte: Antoine de Saint Exupéry
Mise en scène: Sophie Cadieux / Avec Renaud Lacelle-Bourdon dans le rôle-titre; Fayolle Jean, Sophie Desmarais, Jean-François Casabonne, Benoît Brière et Vincent Andres Trelles Turgeon.
Musique de Éric Champagne, interprétée par l’Ensemble Zefirino dirigé par Yannick Nézet-Séguin.
Diffusion en ligne du 30 octobre au 8 novembre.