Une semaine et des poussières après la première médiatique du spectacle tant attendu, Le projet Riopelle, tout indique que Robert Lepage et son équipe ont réussi à surmonter plusieurs des difficultés montrées du doigt par les critiques. Grâce à l’efficacité d’une armée de techniciens maintenant mieux rodée, on passe harmonieusement d’une scène à l’autre, durant cette pièce de quatre heures et demie, incluant deux entractes.
Avec Luc Picard dans le rôle principal, on va du Québec à la France, avec des arrêts à New York. Les lieux et les époques sont évoqués à travers des décors ingénieusement assemblés sous nos yeux. Le tout est magnifié par des effets visuels grandioses! Mais, qu’apprend-t-on au juste sur Riopelle?
Comment raconter la vie tumultueuse du peintre Jean-Paul Riopelle, né à Montréal en 1923 et qui allait devenir un artiste de renommée internationale, qualifié de «père de la modernité artistique au Québec»? Avec la collaboration de Steve Blanchet (coauteur) et Olivier Kemeid (dialogues), Robert Lepage a conçu une série de sketchs, réunissant neuf comédiens qui interprètent plusieurs rôles.
Gabriel Lemire incarne Jean-Paul durant sa jeunesse. Luc Picard se glisse dans la peau du peintre qui, après avoir été un élève de Paul-Émile Borduas à l’École du meuble de Montréal, s’installe à Paris dans les années 1940. Il rencontrera des célébrités dont André Breton, Samuel Beckett, etc., sans oublier Joan Miró, croisé dans un bar de New York. En général, les scènes sont courtes et souvent humoristiques. Même un spectateur qui s’intéresse plus ou moins à la peinture sera amusé par certains dialogues et ébloui à plusieurs reprises par l’envoûtant environnement visuel d’Ex Machina, la compagnie de Lepage.
Il faut voir, entre autres, comment on illustre la splendeur de L’île aux Oies! Et que dire de ce survol en hydravion de l’immensité du Grand Nord! C’est dans cet emballage haut de gamme, qu’on suit la trace de Riopelle au quotidien mais, que sait-on de ce qu’il ressent? On ne fera qu’effleurer les convictions de ce signataire du Refus global. L’homme se livre un tout petit peu dans une reconstitution d’une entrevue avec Fernand Seguin à l’émission Le Sel de la Semaine, mais Luc Picard est affublé d’une perruque quasi-clownesque qui nous distrait de ce rare moment de confidence.
En fait, on va beaucoup plus en profondeur avec le personnage de Joan Mitchell, grâce à l’étincelante Anne-Marie Cadieux qui prend beaucoup de place et vole la vedette, même si de nombreux spectateurs peinent à suivre son débit parfois rapide à travers les surtitres. Bien qu’elle ne soit pas toujours facile à comprendre lorsqu’elle parle en français, la peintre américaine s’exprime sur le sens de son art, sur sa vision de la politique, etc. Elle laisse éclater sa colère, révélant ainsi le feu qui brûle en elle!
La profondeur de ce personnage crée un contraste énorme avec Riopelle, dépeint superficiellement comme un coureur de jupons, opportuniste et narcissique. Peut-on résumer de façon aussi réductrice, la personnalité d’un homme qui a peint durant plus d’un demi-siècle, après avoir adhéré au mouvement des Automatistes? Pourquoi se limiter à un portrait aussi sombre du créateur du lumineux Hommage à Rosa Luxemburg?
De la profondeur, on en trouve également, dans un monologue de Claude Gauvreau, poète anarchiste rejeté. Étienne Lou se glisse dans la peau de cet artiste torturé. Bouleversant!
Cela dit, il y a plusieurs moments cocasses dans ce spectacle. On retiendra, entre autres, cette rencontre entre Riopelle et Maurice Richard, homme de peu de mots, incarné avec justesse par Richard Fréchette. Quant à la parodie du dévoilement de L’Hommage à Rosa Luxemburg, par l’ex-ministre de la culture Louise Beaudoin, au Casino de Hull, en 1997, elle pourrait devenir une pièce d’anthologie du théâtre québécois! Drôle et généreusement sarcastique!
Enfin, on rit de bon coeur également durant la scène ou le peintre se rend dans un magasin d’encadrement où il fera une rencontre déterminante… C’est à ce moment que résonne Chats sauvages de Marjo, un choix judicieux, car les paroles de cette chanson collent à nos souvenirs de ce peintre Québécois incarnant l’insoumission et la soif de liberté.
Malgré des bémols, l’immense talent de Robert Lepage vous émerveillera une fois de plus et il ne serait pas étonnant que le spectacle continue d’évoluer car, comme l’indique son titre, c’est un «projet». Rêve de grandeur, besoin de reconnaissance à l’étranger, etc., le parcours de ce grand peintre nous interpelle encore aujourd’hui. De plus, il est rare qu’on rende hommage à quelqu’un d’ici avec autant de moyens. C’est pourquoi Le projet Riopelle me semble un incontournable pour quiconque s’intéresse à la survivance québécoise, dont Riopelle demeure un phare!
Le projet Riopelle
Texte, conception et mise en scène : Robert Lepage
Avec: Anne-Marie Cadieux, Violette Chauveau, Richard Fréchette, Gabriel Lemire, Étienne Lou, Noémie O’Farrell, Luc Picard, Audrée Southière et Philippe Thibault-Denis
À Montréal, au théâtre Duceppe jusqu’au 11 juin / détails
À Québec, au Diamant, du 19 octobre au 19 novembre / détails