La Maison Symphonique a vu, vendredi soir 11 octobre, son parterre et sa corbeille passablement remplis de fervents amateurs de musique baroque abonnés aussi à l’animation désopilante de l’humour excentrique de Matthias Maute, le chef de l’Ensemble Caprice.
Autre univers musical au banquet montréalais
Montréal est vraiment un vaste festin ou plutôt un bal incessant de musiques variées jouées ou dansées en autant de salles exquises, ici avec les instruments de l’époque accordés à fréquence adaptée. On n’entend de nos jours que ces Concertos brandebourgeois de Bach avec cette sonorité de vieille viole de gambe comme ailleurs dans les sociétés de musique ancienne du nord de l’Europe. Comme le rappelle le chef de l’ensemble, nous sommes dans le domaine de la recherche d’authenticité: faut faire au plus naturel, tout doit être cent pour cent pur, un genre de garantie biologique.
Quelques cousins ancêtres de l’Ensemble Caprice
Quand j’étais gamin, on écoutait Bach avec l’Orchestre de chambre Jean-François Paillard jouer ces oeuvres-là, au FM sans annonces de Radio-Canada ou au FM de Laval sous Jean-Pierre Coallier. Puis est venu Nicolas Harnoncourt avec un tas de théories qui ont fait religion. Kurt Redel sur Erato et ses interprétations ont vieilli, le English Chamber Orchestra de Neville Mariner ou même dirigé par Benjamin Britten triomphèrent quand même tout autant que le Collegium Aureum.
32 musiciens sur scène
C’est un tout autre monde que celui des gigantesques ensembles de nos salles modernes par rapport à la musique de chambre baroque. Trente-deux musiciens tout au plus versus les plus de cent musiciens quand on joue du Mahler ou du Richard Strauss à l’OSM.
L’ensemble orchestral Caprice est constitué de six premiers violons, cinq seconds violons, trois altistes, trois violoncelles, une contrebasse, deux flûtes à bec, une flûte baroque solo, trois hautbois, un basson, trois trompettes, deux cors, une timbale et un clavecin pour la basse continue de certaines suites de danses entendues. L’analyse de chacune des danses baroques assemblées en suites ou en concertos est très complexe et fascinante.
Qu’est-ce donc que le Brandebourg?
Le petit état allemand au nord du pays (dans l’entourage de Berlin que je pédalais à vélo pendant mes mois d’étés de vacances là-bas, il y a 30 ans ) qui s’appelle toujours le Brandebourg est ce territoire où Bach voulait fuir les dissensions religieuses vers des bras plus accueillants: ç’aurait été la cour du Margrave (un titre de noblesse allemande équivalent à Baron) de ce petit territoire, de sorte que pour fuir Anhalt-Cothen où tant de chefs-d’oeuvre avaient vu le jour sous son prince ami et calviniste (et Bach était luthérien), Jean-Sébastien avait eu l’idée d’écrire et d’envoyer, en offrande, six concertos (de type concerto grosso italien) désignés comme brandebourgeois afin qu’on lui ouvre là-bas tout grands les bras. Les choses ne se sont pas passées ainsi et Anna Magdalena dans son très beau tout petit livre rempli de mémoires de grande tendresse pour son courageux mari, explique comment Bach est parti plutôt pour Leipzig avec ce qui lui restait de ses 20 enfants (et cette dernière épouse) puisque plusieurs de ses enfants moururent en bas âge.
Dimitri Chostakovich (1906-1975) arrangé par Maute
Matthias Maute adapta trois préludes en préambule à chaque œuvre de la musique de Bach qu’il a mise au programme et, avant la toute dernière grande œuvre au programme, une discutable version d’arrangement de l’Adagio d’Albinoni, archicélèbre pourtant, mais que beaucoup n’ont pas assez reconnue pour l’applaudir! L’abréviation Bach Werke Verzeichnis donc BWV veut dire Catalogue (verzeichnis) des œuvres (=werke). Le numéro donne une idée de la quantité d’œuvres qu’il a créées et c’est aussi pour ça (et la qualité de chaque composition) qu’il reste encore le plus grand de tous les géants de la musique toutes époques confondues.
Le Quatrième concerto brandebourgeois
Après une mise en bouche répétée trois fois ainsi de quasi prélude-préambule d’un compositeur russe décédé en 1981, (Shostakovich s’écrit avec un C majuscule) soit Dimitri Chostakovich, c’est le quatrième concerto brandebourgeois (BWV 1049) qui ouvre le concert incarnant la danse de l’âme humaine: Matthias Maute a joué lui-même en soliste de sa flûte en compagnie de Sophie Larrivière (donc deux flûtes d’Écho), deux violons, un alto, une contrebasse en plénitude de violoncelle et celui qui mènera les danses avec son statut de premier violon, c’est Olivier Brault. C’est un véritable concerto pour violon et cordes et on a ces deux flageolets ou flûtes baroques qui y collaborent. Une très belle fugue finale couronne le premier plat du festin musical.
Échos de la musique authentique d’autrefois
Le Premier concerto brandebourgeois (BWV1046) suit. Il est écrit pour deux cors de chasse, trois hautbois et basson avec un tout petit violon concertant, un alto, un violoncelle et une basse continue, un genre de petite sinfonia italienne, en fait toujours cette suite de danses avec ultimement un menuet exposant 5 fois son thème où on retrouve même une polonaise au milieu. On est là dans la sonorité type de l’époque de Vivaldi. Il n’y a pas plus réjouissante musique que celle-là tous siècles confondus.
Troisième Concerto brandebourgeois en sol majeur
C’est le concerto (BWV 1048) des trois groupes d’instruments dialoguant en trois parties. Nous aurons droit aussi un postlude amusant de la Musette de Bach qui est, au fait, cette première pièce archi connue que jouent les doués enfants de 5 ou 6 ans au piano. Cette musette fit danser tout le monde et rire le public à gorges déployées.
Clôture : Troisième suite pour orchestre (BWV 1068)
Des quatre magnifiques suites pour orchestre baroque de Bach, Maute a choisi de clore la soirée avec la troisième suite qu’il fait jouer allègrement, mais tellement vite jusqu’à la gigue du mouvement final, après ses six mouvement de danses, que j’ai l’impression qu’ils ont tout joué au moins trois minutes fermes plus rapidement que le Linde Consort (Angel 7777-33943) dirigé par Hans-Martin Linde que je tenais pour référence. Tant pis pour moi qui me suis incrusté cette version dans la tête.
Mécénat musical
Le chef Matthias Maute a bien eu raison de vanter les mérites du programme de Mécénat musical qui a récemment accumulé 100 millions de dollars en dons : les intérêts à eux seuls (sur cette somme recueillie) permettent de soutenir des ensembles de musique ancienne, baroque, classique et autres ainsi que des artistes à hauteur de 5 millions de dollars de bourses et prix annuels, voire plus encore. Il s’agirait de faire un don de 25 mille dollars, si vous en avez tant à offrir, don qui n’en coûterait réellement « que » 6 500 dollars environ, le reste étant déductible d’impôts.
Anonymat ou clameurs?
Certains mécènes le font anonymement, d’autres aiment voir leur nom cité dans la brochure. D’autres veulent qu’on les nomme solennellement en début de concert afin qu’ils puissent se lever et recevoir les salves d’applaudissements d’un public moins bien vêtu qu’autrefois mais qui aime l’étalage de richesse acquise prodigieusement, même dans un monde belliciste qui ne cesse de s’appauvrir. Ce geste est sur-le-champ doublé de la somme équivalente, si j’ai bien compris, par les paliers de nos gouvernements participant à ce défi de stabilité de soutien culturel plus permanent à tout notre milieu musical.