Après avoir chéri ce projet pendant près de cinq ans, le théâtre du Trident, en collaboration avec le théâtre Denise-Pelletier, a magistralement relevé un défi colossal, en présentant pour la première fois la pièce Les Plouffe inspirée par le roman de Roger Lemelin avec quelques incontournables du film de Gilles Carle. Isabelle Hubert et Maryse Lapierre ont fait un sans-faute, en s’appropriant avec respect et amour cette œuvre emblématique québécoise, d’une époque, d’un quartier, d’une famille, qui a été un succès en radio-romans, en téléroman à succès et en film culte au cinéma. Les Plouffe est présenté au Théâtre du Trident jusqu’au 9 février.
Synopsis : Nous sommes en 1938, en plein quartier Saint-Sauveur; Ovide Plouffe travaille dans une manufacture, mais ne s’en satisfait pas. Il rêve de s’élever au-dessus de tout ça. Il rêve aussi d’un rendez-vous avec la belle Rita Toulouse. Son frère Guillaume, lui, aspire à devenir joueur de baseball professionnel aux États-Unis. Tous les membres de la famille Plouffe se débattent avec le clergé, la misère et les revers du destin dans une société qui traverse de grandes mutations. La famille sera marquée notamment par la Grande Dépression, la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi, par les petites et les grandes trahisons.
Isabelle Hubert a fait l’adaptation du roman avec un grand respect de l’œuvre, tout en reprenant des éléments-clés qui ne se trouvaient que dans le film de Gilles Carle, comme par exemple la célèbre phrase d’Ovide Plouffe «Y’a pas de place, nulle part, pour les Ovide Plouffe du monde entier!» que tous s’attendaient d’entendre avec un brin de nostalgie. Elle a su jumeler le drame et la comédie de manière harmonieuse.
Maryse Lapierre m’a complètement éblouie par sa mise en scène énergique, rythmée, ingénieuse et empreinte de nostalgie. Avec la cuisine au centre de la scène, on comprend vite que c’est le cœur de la vie de cette famille. Tout s’y vit dans cette cuisine, où se trouve indéniablement à tout moment, la mère forte, contrôlante, mais combien aimante, qui tient sa famille à bout de bras. Tout autour de cette cuisine gravite une quinzaine d’autres lieux où se déroule cette histoire. Et ce ne sont pas nécessairement des lieux faciles à reproduire, quand on pense au concours d’anneaux, au terrain de baseball, au Château Frontenac, le monastère, le sanatorium, l’escalier reliant la Basse-Ville et la Haute-Ville, et la fameuse côte de la pente douce, où Napoléon et Ovide vont faire une course de bicyclette. Et c’est là, que j’admire l’ingéniosité, les prouesses et l’imagination qu’il a fallu pour créer ces lieux, nous y faire croire en leur réalité et nous les faire apprécier comme si on y était, avec un soupçon d’imagination. Parmi mes moments favoris, il y a assurément la montée de cette pente à bicyclette qui m’a laissée totalement éberluée. Également, le concours d’anneaux a été réalisé avec un brin de finesse et d’imagination qui m’a fasciné.
Naturellement, l’interprétation des acteurs est impeccable. Les quatorze comédiens se donnent corps et âmes à cette production. Quelles énergie et dévouement ils font preuve ! Renaud Lacelle-Bourdon avait de grandes chaussures à remplir en reprenant le rôle d’Ovide Plouffe. Et il a réussi avec brio à nous faire voir la vulnérabilité d’Ovide, à travers ses airs pompeux et hautains parfois. En plus d’avoir cette réplique légendaire à reprendre, que Gabriel Arcand a rendue célèbre, il a également dû chanter son Paillasse avec une nappe autour du cou. Encore une fois, cet acteur a relevé ce défi avec brio.
Frédérique Bradet reprend le rôle marquant de Cécile que Denise Filiatrault avait si bien incarné dans le film. Voilà bien une autre grande pointure à remplir. Cette grande actrice s’est merveilleusement bien approprié ce personnage en manque d’amour en lui donnant une bonne dose de vulnérabilité, d’humour, de tendresse et de répliques de vieille fille bourrue. Elle était totalement délicieuse dans ce personnage.
Gilles Renaud incarne Théophile avec force et aplomb. On ne s’attendait à rien de moins de cet acteur de si grand talent. Jean-Michel Girouard est celui qui a amené son plus grand lot de rires et de tendresse, avec son personnage de Napoléon qui se régale de cornet de crème glacée et de lunes de miel. Sa gestuelle, son allure et sa démarche ont déclenché des rires à plusieurs occasions. Et son amour pour sa grande et douce Jeanne (superbe interprétation tout en douceur par Mary-Lee Picknell) nous a également attendris à plus d’un moment.
Le personnage qui m’a le plus impressionné est assurément celui de la mère, interprété par la toujours excellente Marie-Ginette Guay. Quelle performance de jeu! À la toute fin de la pièce, lorsqu’elle nous sort sa réplique « Mon Guillaume qui tue des hommes! », on voit clairement la larme perler sur son œil, même dans le fond de la salle, alors que son trop-plein d’émotions nous transperce le cœur. Ouf!
Sarah Villeneuve Desjardins qui incarne entre autres Bérangère, la chanteuse d’opéra et quelques autres personnages dont plusieurs poussent la note a su démontrer à nouveau ses talents en chant. Quelle voix !
Ceci m’amène à parler justement de la musique qui est en soi un personnage dans cette pièce. Il y a entre autres cette musique instrumentale que l’on retrouve au début et à la fin de la pièce qui est magnifique et qui crée une superbe ambiance. La chanson également que l’on retrouve au Château Frontenac, pendant la danse, c’est vraiment sublime à entendre. On peut dire que c’est une excellente idée d’avoir fait ces ajouts de musique et des chansons.
Au final, cette pièce de plus de 2h20 minutes, sans entracte, nous fournit une bonne dose de nostalgie du quartier Saint-Sauveur de Québec de la fin des années 30. Elle nous permet également de retrouver avec bonheur la famille Plouffe, ces personnages cultes, légendaires connus de tous. Et cela nous donne la joie de pouvoir entendre à nouveau, parfois différemment, ces répliques que l’on connaît par cœur et qui nous émeuvent chaque fois. Une pièce remplie à la fois d’humour et de drame bien dosé, de musique, de costumes d’époques, et des performances de quatorze fabuleux acteurs qui bourdonnent sur la scène pendant presque 2h30 minutes ! Que demander de mieux ?
La pièce Les Plouffe est présentée jusqu’au 8 février au Théâtre du Trident. Deux supplémentaires viennent d’être annoncées les 2 et 9 février en après-midi.
La distribution
Gilles Renaud (Théophile),
Marie-Ginette Guay (Joséphine),
Renaud Lacelle-Bourdon (Ovide),
Jean-Michel Girouard (Napoléon),
Alex Godbout (Guillaume),
Frédérique Bradet (Cécile),
Alice Moreault (Rita Toulouse),
Jacques Girard (le curé Folbèche),
Maxime Beauregard-Martin (Denis Boucher),
Robin-Joël Cool (Tom Brown),
Mary-Lee Picknell (Jeanne Duplessis),
Sarah Villeneuve-Desjardins (Bérangère),
Alexis Déziel (Stan Labrie et pianiste)
Nicola-Frank Vachon (Onésime)
CONCEPTION
GABRIELLE ARSENEAULT: ASSISTANCE À LA MISE EN SCÈNE
MARIE-RENÉE BOURGET HARVEY: SCÉNOGRAPHIE
ANDRÉ RIOUX: ÉCLAIRAGES
VIVIANE AUDET, ROBIN-JOËL COOL ET ALEXIS MARTIN: MUSIQUE ET ENVIRONNEMENT SONORE
SÉBASTIEN DIONNE: COSTUMES
MARJORIE HARDY: MAQUILLAGE
D’APRÈS L’ŒUVRE DE ROGER LEMELIN, ADAPTATION THÉÂTRALE D’ISABELLE HUBERT.
AVEC EMPRUNTS À L’ŒUVRE CINÉMATOGRAPHIQUE DE ROGER LEMELIN ET GILLES CARLE. AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE LEURS HÉRITIERS.
MISE EN SCÈNE DE MARYSE LAPIERRE
COPRODUCTION AVEC LE THÉÂTRE DENISE PELLETIER
Du 14 janvier 2020 au 9 février 2020
https://www.letrident.com/pieces/les-plouffe
crédit photos : Courtoisie du Théâtre du Trident (Stéphane Bourgeois)