Le Théâtre Denise-Pelletier ouvre sa saison hivernale avec L’éveil du printemps. L’auteur, David Paquet, dit s’être «librement inspiré» d’une oeuvre controversée écrite au XIXe siècle par l’Allemand, Frank Wedekind, où l’on suit des adolescents qui s’éveillent à la sexualité. Plus d’un siècle plus tard, ce nouvel Éveil du printemps, créé au Théâtre du Trident en 2023, donne la parole à des «elles ou ils ou iels, qui tentent maladroitement de décoder leurs pulsions naissantes.» Résultat? Une pièce qui tombe dans le grotesque, entre autres, en faisant l’éloge de donneuses de leçons.
Performance acrobatique
Le début du spectacle est pourtant électrisant avec de jeunes comédiens agiles qui dévalent et remontent la pente abrupte installée au centre de la scène, comme autant d’élans vers le désir. Ces interprètes qui incarnent des ados agité(e)s par leurs pulsions sexuelles, sautent aussi à la corde dans un numéro remarquablement synchronisé. D’entrée de jeu, on apprécie le savoir-faire du metteur en scène Olivier Arteau et du chorégraphe Fabien Piché qui ont su traduire de façon ludique, l’agitation juvénile de Martha, Moritz, Otto, Wendla et Melchior, devenu un personnage féminin.
Un fourre-tout!
Durant près de deux heures, sans entracte, les propos plus ou moins décousus de ces personnages s’enchaînent et sont de moins en moins drôles. Entre autres, l’une des adolescentes veut raconter devant sa classe l’orgasme qu’elle a vécu la veille. Son enseignante s’y oppose et cette dernière est, bien sûr, tournée en dérision!
Tout en jouant la carte de celui qui donne la parole aux jeunes, le dramaturge québécois se garde bien de questionner cette idée si chère à notre époque, voulant que chacune et chacun puisse s’exprimer en tout lieu et en tout temps. L’école n’est-elle pas faite pour apprendre et ne faut-il pas se taire, parfois, pour comprendre? Pas un mot à ce sujet!
On braque aussi les projecteurs sur une fille de 14 ans qui fait la leçon à un juge sur la façon dont il devrait rendre justice aux victimes d’agression. Toujours subtils (!), l’auteur et son équipe ont tenu à déformer la voix du juge qui parle comme s’il était un monstre! Est-ce qu’on aide le public et les jeunes en particulier en présentant des images aussi tordues de la réalité, pour s’arrimer à la bien-pensance woke?
Quant aux gars, ils sont loin d’être au coeur des propos de la pièce, sauf dans le cas de Moritz qui se cherche sexuellement. Le comédien Gabriel Favreau réussit d’ailleurs à s’illustrer avec nuances dans ce rôle. Pour ce qui est du seul garçon officiellement hétéro du groupe, il se retire d’une soirée entre amis, ce qui réjouit l’adolescente dont on célèbre l’anniversaire : «tant mieux, on va pouvoir fêter ma fête entre filles!»
Dans cet univers de bon(ne)s et de méchants, les «mâles poilus avec une grosse» (vous savez quoi) sont présentés comme des bêtes à faire disparaître, tant ils sont menaçants et violents. Du même souffle, l’étudiante qui voulait tant raconter son orgasme finira par le jouer devant nous, en se délectant d’être rudoyée par sa partenaire sexuelle. Bref, la brutalité si répréhensible chez les uns devient un symbole d’émancipation chez les autres, semble nous dire l’auteur.
Passant du coq-à-l’âne, on est témoin des désagréments de la ménopause de celle qui joue la mère des principaux personnages. Malgré ses talents de comique, Marie-Josée Bastien n’arrive pas à nous faire avaler une scène de ménopausée qui s’en prend au marchand de climatiseurs en rupture de stock, comme si le pauvre homme était à blâmer pour son retour d’âge!
Deux poids, deux mesures
Au bout du compte, il n’y a pas la moindre idée nouvelle dans ce long texte consensuel. Il aurait été intéressant, par exemple, de demander aux jeunes hommes comment ils voient leurs relations avec les filles, à notre époque où une avance masculine peut être vite considérée comme une agression.
Alors qu’un toucher ou un regard peut suffire à ternir leur réputation, les garçons se demandent-ils s’ils ont, eux aussi, des recours, par exemple, lorsqu’une copine les gifle? Curieusement, à chaque fois qu’une femme frappe un homme au cinéma, les spectatrices, entre autres, pouffent de rire. Ce double standard n’est-il pas malsain?
Et puis, dans cette pièce qui prétend vouloir faire table rase du passé, c’est encore le jeune homme qui offre un verre à la demoiselle, en lui disant qu’elle est belle, comme si cette rhétorique surannée et à sens unique devait perdurer de nos jours. Les garçons d’aujourd’hui trouvent-ils que leurs relations avec les filles sont équitables? Évidemment, l’auteur ne soulève pas de questions sur les comportements féminins!
Après une longue série de variations de prêchi-prêcha, le spectacle se gâte encore davantage durant la scène où Moritz tente de se suicider, en pointant longuement un fusil vers sa bouche! A-t-on besoin d’images aussi radicales pour comprendre la détresse suicidaire? Rappelons que la mission première du TDP est d’initier les jeunes au théâtre.
En résumé, L’éveil du printemps m’est apparu comme un ramassis de clichés et de raccourcis qui n’aident pas à la compréhension de la réalité complexe dans laquelle nous vivons. Parlant de réalité, un grand nombre de sièges du Théâtre Denise-Pelletier (probablement plus du tiers) sont restés vides, lors de la représentation à laquelle j’ai assisté, vendredi, 26 janvier.
L’éveil du printemps
Texte de David Paquet, inspiré de Frühlings Erwachen de Frank Wedekind
Mise en scène: Olivier Arteau
Avec: Lé Aubin, Marie-Josée Bastien, Claude Breton-Potvin, Ariel Charest, Gabriel Favreau, Gabriel Lemire, Marc-Antoine Marceau, Carla Mezquita Honhon, Sébastien Rajotte et Sarah Villeneuve-Desjardins.
Au Théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 17 février / Infos