La relecture du Misanthrope avec Sylvie Drapeau, dans le rôle d’une ancienne écrivaine devenue une critique impitoyable, vous fera rire, mais peut-être aussi rire jaune. Tout comme Alceste, célèbre personnage de Molière, Mademoiselle Agnès dénonce l’hypocrisie qui règne chez les humains et en particulier dans le domaine culturel. Faut-il une certaine dose de mensonges pour pouvoir vivre harmonieusement en société ? Doit-on toujours dire le fond de sa pensée ? Chose certaine, Agnès ne fait pas de compromis et elle en paiera le prix.
«Pu capable !»
L’entrée en scène de Sylvie Drapeau donne froid dans le dos : Agnès, visiblement en colère, tient un long couteau et se met à énumérer tous ceux qui goûteront à sa médecine : «Pu capable des hommes ! Pu capable des femmes ! etc. Même sa garde rapprochée ne trouve pas grâce à ses yeux. De part et d’autre, on va s’échanger des méchancetés comme des balles de ping-pong et ce jeu dangereux déclenchera des éclats de rire dans la salle durant les deux heures qui suivront.
L’une des premières victimes d’Agnès sera son fils Orlando (Félix Lahaye). Le chanteur pop s’amène courageusement avec sa guitare et pousse la note dans le but d’obtenir quelques remarques favorables de la part de sa maman. Mais, la grincheuse ne tarde pas à mettre en pièces cette ballade sirupeuse au grand dam du jeune homme. Il menacera même de poursuivre sa génitrice pour avoir publié une critique particulièrement dévastatrice de son groupe Les Orlandos.
Quant à Fanny (Stéphanie Cardi), amie d’Agnès, elle signe différentes chroniques, notamment, en ce qui concerne des vêtements qu’une femme ne devrait pas porter après l’âge de 30 ans. Le ton monte ! Les échanges entre les deux belligérantes sont grinçants ! La chroniqueuse en vient à reprocher à son interlocutrice d’avoir souvent des tenues vestimentaires qui ne sont plus de son âge. Et vlan !
Mais, il y a un mais…
Agnès semble haïr l’humanité tout entière, mais il y a un mais… Alors que chez Molière, Alceste s’éprend de Célimène, ici, la misanthrope a le béguin pour le sexy Sascha (Luc Chandonnet) qui a beaucoup de succès avec les femmes dont Océane (Ariane Trépanier) et Annabelle (Sally Sakho), deux groupies superficielles et désopilantes !
Agnès voudrait bien s’éloigner des humains en allant vivre à la campagne avec monsieur, mais le bellâtre entretient une certaine ambiguïté sur ses intentions de quitter la ville car, lui, il aime la vie en société.
Plein feu sur les paradoxes
De son côté, Adrien (Éric Bernier) ex-amant d’Agnès répète pompeusement qu’il a beaucoup changé depuis qu’il est devenu père, mais on constate qu’il s’enlise lui aussi dans ses contradictions. Mademoiselle ira d’ailleurs jusqu’à enregistrer ses proches à leur insu pour leur mettre leurs mensonges sous le nez.

Crédit : Fred Tougas
À tout ce beau monde s’ajoute Élias (Nathalie Claude), une sorte de bouffon qui offre l’un des moments les plus drôles de la soirée, grâce à une hilarante séance de «lip sync» au son du tube I feel love de Donna Summer.
«Ooh it’s so good, it’s so good… Ooh I’m in love, I’m in love…» La comédienne casse la baraque en faisant irruption avec cette chanson d’amour et de volupté, dans ce contexte où tout le monde est à couteaux tirés !
Cette scène a fait rire le public de bon coeur, le soir de la première, y compris les gens du milieu artistique, pourtant particulièrement malmenés par Mademoiselle Agnès : «Plus capable des artistes. Des parasites qui enchaînent les subventions, qui élèvent les petites aventures fades qu’ils vivent entre eux au statut de drames existentiels et scandales d’état, et qui pourrissent l’atmosphère.»
Adaptation québécoise
Dans cette distribution étincelante, Sylvie Drapeau est magistrale ! Louis-Karl Tremblay signe une savoureuse adaptation québécoise de ce texte de Rebekka Kricheldorf. La misanthrope se permet des commentaires à des années-lumière du politiquement correct, en déversant son fiel sans relâche sur les couples, les célibataires, le monde gay, les féministes, les autochtones, le référendum sur la souveraineté du Québec, sans oublier les rappeurs de Montréal Nord. Serez-vous tentés à votre tour par le franc-parler sans filtre ? À voir !
Mademoiselle Agnès
Texte : Rebekka Kricheldorf / Mise en scène et adaptation : Louis-Karl Tremblay
Avec : Sylvie Drapeau, Luc Chandonnet, Éric Bernier, Félix Lahaye, Stéphanie Cardi, Nathalie Claude, Ariane Trépanier et Sally Sakho
Au Théâtre Prospero, jusqu’au 15 octobre