La pièce, M’appelle Mohamed Ali, présentée au Festival TransAmériques puis au Théâtre de Quat’Sous en 2022, est maintenant à l’affiche au TNM pour quelques représentations. Il s’agit d’une adaptation pour neuf interprètes du monologue de l’auteur congolais Dieudonné Niangouna, relatant les combats menés par des personnes noires, que ce soit dans le ring ou sur la scène. Le Théâtre du Nouveau Monde souligne qu’il offre cette partition complexe portée par des comédiens noirs «pour ouvrir une conversation sur des enjeux sensibles et importants…» Voyons ce qui se dégage de cette pièce coup de poing.
Un monologue démultiplié
Avant d’assister à M’appelle Mohamed Ali, il est souhaitable de savoir que ce texte, publié en 2014, avait été conçu spécifiquement pour un interprète, l’acteur burkinabé Étienne Minoungou. La personnalité de cet artiste a fortement inspiré le personnage principal de l’oeuvre, qui est maintenant portée par huit acteurs afrodescendants, dans la mise en scène et l’adaptation signées par Philippe Racine et Tatiana Zinga Botao.
Un spectacle physique
En guise d’introduction, une mère, (Oumy Dembele) somme son fils Étienne, un comédien, d’entreprendre le passage à l’âge adulte pour devenir un homme. Ce sera l’élément déclencheur d’un dialogue entre l’art et le sport comme moyens d’émancipation, voire d’affranchissement.
Le rideau s’ouvre alors qu’Étienne s’apprête à incarner au théâtre Mohamed Ali, célèbre boxeur, critiqué pour son refus d’être enrôlé dans l’armée américaine, lors de la guerre du Vietnam. Les combats sociaux du poids lourd sont intercalés avec ceux de l’acteur noir qui tente de s’illustrer dans un monde où les décisions sont majoritairement prises par des blancs.
Les huit hommes sont alors rassemblés dans une sorte de danse où surgissent des métaphores de la boxe et du théâtre. Leurs déplacements sont d’une précision remarquable, grâce à l’ingéniosité de la chorégraphe Claudia Chan Tak. Leurs propos prennent parfois la forme de récits syncopés où il est question de résistance, de lutte pour l’égalité, etc. C’est énergique! Percutant!
Cette équipe très soudée est composée des comédiens : Vlad Alexis, Lyndz Dantiste, Fayolle Jean Jr., Widemir Normil, Martin-David Peters, Rodley Pitt, Franck Sylvestre et Philippe Racine lui-même.
Une pièce coup de poing
Le ton est rude. La rancœur gronde durant ce spectacle de 90 minutes. Les interprètes donnent parfois l’impression d’interpeller directement les spectateurs en dénonçant les clichés à propos des Noirs, le racisme collé à la vie quotidienne, les préjugés envers les artistes afrodescendants, etc. Puisque les boxeurs et acteurs noirs mènent des combats similaires, on passe souvent de l’univers de la scène à celui du ring, dans ce texte tendu.
Les protagonistes condamnent particulièrement le racisme à l’américaine symbolisé par la Maison-Blanche mais, leur fureur ne s’arrête pas là. Ils dénoncent aussi «la pensée blanche»! Faut-il, alors, considérer que la musique de Bach est raciste? Doit-on aussi condamner les intentions qui ont poussé, par exemple, la physicienne et chimiste Marie Curie à poursuivre des recherches qui lui ont permis de devenir la seule femme à ce jour à avoir obtenu deux prix Nobel? Le savoir-faire des occidentaux est-il systématiquement malveillant?
On le sait, la colère n’est pas toujours la meilleure conseillère. Ce texte belliqueux me semble tourner les coins ronds en tenant ainsi les Blancs comme responsables de tous les malheurs des Noirs. Comment peut-on prétendre «ouvrir une conversation» en divisant ainsi le monde en deux clans : des victimes et des méchants ?
Bref, malgré ses qualités, M’appelle Mohamed Ali perpétue un discours culpabilisateur qui semble tourner un rond, six ans après l’affaire «SLĀV». Rappelons que ce spectacle de Robert Lepage, décrit comme « une odyssée théâtrale basée sur des chants d’esclaves », avait été carrément retiré de l’affiche au TNM, où l’on avait cédé sous la pression de manifestants qui y voyaient de l’appropriation culturelle. Comment aspirer à la réconciliation en ne retenant que ce qui cause la division?
M’appelle Mohamed Ali est à l’affiche au Théâtre du Nouveau Monde, pour trois autres représentations:
Le 1er mars à 20h
Le 2 mars à 15h
Le 3 mars à 14h