Meurtres avec malveillance, le 4e roman d’une série de six (dont deux encore inédits en traduction) des enquêtes de Thumps DreadfulWater, écrit par Thomas King, vient d’être publié aux éditions Alire en version française. Chaque tome est indépendant, même si l’ensemble se construit autour d’une riche galerie de personnages qui reviennent dans chaque nouvelle aventure. La force de ce roman réside dans les dialogues et la répartie des personnages. Des répliques empreintes d’humour sarcastique et ironique qui font sourire, et le personnage de Thumps DreadfulWater qu’on adore de plus en plus d’un roman à l’autre et qui ne cesse de nous surprendre. Ajoutez à cela une incursion dans les coulisses des téléréalités et vous avez un polar rempli de rebondissements, mais surtout d’humour!
Résumé : La vie n’est pas de tout repos pour Thumps DreadfulWater. Alors qu’il peine à accepter tant son diabète que le cancer de Claire, voilà que la productrice d’une populaire émission d’affaires criminelles, Nina Maslow, débarque à Chinook et insiste pour que Thumps l’aide à réactiver un vieux dossier. De fait, il y a bien des années, Trudy Samuels, une jeune fille de bonne famille, avait été trouvée morte au pied d’une falaise. À l’époque, les penchants de Trudy pour l’alcool et la drogue étant bien connus, toute la population de Chinook, shérif en tête, avait adhéré à la thèse de l’accident… sauf la mère de Trudy, qui a tout de suite accusé le petit ami de sa fille, « un vaurien d’Autochtone ! », de l’avoir tuée. Or, si la productrice tient tant à déterrer ce triste épisode, c’est qu’elle y a flairé tous les ingrédients gagnants de son émission : sexe, racisme et célébrité entachée, car ledit « vaurien », Tobias Rattler, est aujourd’hui un écrivain de grande renommée. Thumps, qui ne comprend pourquoi la productrice tient tant à son aide – il ne résidait même pas à Chinook au moment des faits –, sent toutefois sa fibre policière s’éveiller quand on découvre Nina Maslow – morte ! – au même endroit et dans les mêmes circonstances que la jeune Trudy…
Rien ne va plus dans la vie du policier à la retraite Thumps DreadfulWater. Son chat a disparu depuis au moins deux semaines. Sa Volvo qu’il a prêtée à Colley a été emboutie à un feu rouge et n’est peut-être pas réparable. Claire est partie pour un temps indéterminé et Thumps s’en inquiète. Finalement, son diabète fait des siennes et il devra maintenant utiliser de l’insuline pour tenter de tout régulariser. Ah oui, il y a aussi un meurtre ou deux à élucider, s’il lui reste du temps.
La différence entre ce roman Meurtres avec malveillance et d’autres polars du genre, c’est que l’enquête sur les deux meurtres n’est que la trame de fond, alors que ce sont les situations du quotidien, à côté, ainsi que les personnages colorés et sympathiques que Thumps côtoie qui nous interpellent le plus. Les répliques sont savoureuses entre les gens de cette petite ville de Chinook où tout le monde se connaît et se taquine et se lance des répliques truculentes. Je me régale de l’humour mordant de leurs conversations. Il y a également dans ce roman une savoureuse satire des coulisses de la télévision et des artisans souvent névrosés et obsédés par les cotes d’écoute qui carburent au divertissement et aux rebondissements. « La première chose que vous devez savoir à propos des téléréalités, c’est qu’elles n’ont rien à voir avec la réalité. Ce sont d’abord et avant tout des divertissements. »
Tout est sujet à distraction et à la rigolade dans ce polar. Tout d’abord, la mairesse qui incite tous les commerçants à s’intégrer au programme «Howdy» pour rendre plus «western» et «cowboy» cette ville qu’elle qualifie d’«Ouest féérique». Des «Pardner», «yipiii» et «yahoo» s’ajoutent un peu partout dans le vocabulaire des locaux, en plus des accessoires, tel que chapeaux et bottes de cowboy font leur apparition ici et là. Cela ajoute à notre divertissement.
Les discussions autour d’un déjeuner et surtout de cafés sont mes moments préférés, surtout quand ils choisissent de s’arrêter chez Al pour ladite bouchée et que celle-ci choisi qui elle sert et ce qu’elle leur sert.
Voici un exemple de ces discussions autour d’un déjeuner que j’adore pour vous montrer le ton léger et débonnaire du roman :
«Le lendemain matin, il était devant Al’s quand Alvera ouvrit la porte.
«-C’est la fin du monde ? bougonna-t-elle en allant allumer le gril derrière le comptoir. J’espère que tu ne vas pas en faire une habitude.
-De quoi ?
-On a droit à un peu de paix et de tranquillité au début de la journée.
Al alluma la cafetière.
-Tu tiens un café, dit Thumps en se hissant sur son tabouret préféré. La raison d’être d’un café est de servir à boire et à manger à des clients.
-D’Accord, dit Al. Mais pas dès l’ouverture…
Thumps regarda le café s’écouler dans la carafe. Voilà donc à quoi ressemblait Al’s tôt le matin. Pas de café. Pas de nourriture…
-Je peux passer ma commande, maintenant ?
-ta commande, je la connais déjà, répliqua Al. La question est de savoir si je te la servirai.
-Je suis diabétique, fit valoir Thumps. Je dois manger à des heures régulières.
-Et tu dois vraiment te piquer après chaque repas ?…
-Bonjour, lança Sydney Pearl en refermant derrière elle. J’espérais vous trouver ici…
-Le gril est chaud. Vous déjeunez ?
-Toasts et café seulement pour moi, dit Pearl.
-Ce n’est pas un déjeuner, dit Al en remplissant deux tasses. Je vous laisse une autre chance.
-Et un œuf brouillé.
-Vous mangerez une partie de ses pommes de terre, dit Al à l’intention de Pearl. Il est diabétique et en plein déni. »
Pour ce qui est du diabète de Thumps, j’aime bien comment Beth nous explique la complexité de bien gérer le diabète, en tenant compte de bien manger, faire de l’exercice et bien doser son insuline. Cela ne semble pas une mince tâche et la conversation qu’elle a avec Thumps est remplie d’humour, mais aussi tellement efficace pour nous le faire comprendre.
Thumps a le don de se retrouver, à répétition et sans trop savoir comment dans des histoires de meurtres à élucider et dans les problèmes de tout un chacun à régler. Il est un bon vivant et de roman en roman, je le trouve des plus sympathiques et sans trop d’effort, il réussit à régler les enquêtes à travers ses autres problématiques du moment.
Comme je ne suis pas une grande adepte des polars normalement, je dois dire que le style de Thomas King me convient parfaitement. Lors du dénouement de cette histoire, on voit déjà les prémisses du prochain tome, alors que Thumps va renouer avec les fameux meurtres d’Obsidiennes. Or c’est justement à cause d’eux qu’il avait fui la Californie et cela risque de l’y ramener dans le prochain tome qui sortir au printemps 2023.
Thomas King est un romancier, nouvelliste, scénariste et photographe maintes fois primé. Parmi la longue liste de ses best-sellers salués par la critique, notons Une brève histoire des Indiens au Canada, La Femme tombée du ciel (prix du Gouverneur général), L’Indien malcommode : un portrait inattendu des Autochtones (prix RBC Taylor) et la série de romans policiers mettant en vedette Thumps DreadfulWater. Thomas King a été nommé membre de l’Ordre du Canada en 2004 et promu compagnon de ce dernier en 2020, en plus de se voir décerner un National Aboriginal Achievement Award en 2003. Titulaire d’un doctorat en études américaines de l’Université de l’Utah, Thomas King réside au Canada depuis 1980, où il a œuvré à titre de professeur d’anglais à l’Université de Guelph, en Ontario.
Illustration : François Vaillancourt
Traduction : Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Genre : Polar
Meurtres avec vues, Éditions Alire, 2021
Les Meurtres du Red Power, Éditions Alire, 2021
Meurtres sous un ciel de glace, Éditions Alire 2022
Meurtres avec malveillance (A Matter of Malice,). Octobre 2022
DreadfulWater -4
nombre de pages : 373 pages
Prix : 29,95 $
Éditions Alire : https://www.alire.com/
Mon appréciation des tomes précédents : https://lesartsze.com/meurtres-sous-un-ciel-de-glace-un-polar-aux-dialogues-mordants-truculents-et-empreints-dhumour/