La dernière année marquée par la pandémie n’a pas toujours été propice à la découverte de nouveaux disques, mais, comme on dit, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Voici donc une occasion de découvrir la musique d’artistes venus de Syrie, de Turquie, d’Iran, du Pérou, du Sénégal et qui poursuivent leur carrière ici, avec l’aide du Centre des musiciens du monde, fondé en 2017. Cet organisme «accueille et accompagne chaque année des musicien.ne.s professionnel.le.s issu.e.s de diverses cultures afin de mener des projets musicaux originaux, de la conception à la diffusion.»
Zal Sissokho / Kora flamenca – Quand la kora et la guitare se rencontrent
Joueur de kora (harpe-luth à 21 cordes), chanteur et auteur-compositeur, Zal Sissokho est né au Sénégal et il est arrivé au Québec, en 1999. Son album Kora flamenca, publié au début de la crise sanitaire, a d’ailleurs été couronné du Félix «Album de l’année – Musiques du monde».
«C’est dans le cadre d’un voyage à Séville que cette idée est née, alors que j’ai commencé à m’intéresser aux sonorités du flamenco. Fasciné par les techniques de jeu des musiciens rencontrés en Andalousie, mon objectif était alors de créer une musique qui marierait à la fois ce flamenco et la culture mandingue d’Afrique de l’Ouest dont je suis issu. Ainsi, lorsqu’une résidence artistique m’a été offerte par le Centre des musiciens du monde en 2018, j’ai fait appel à Caroline Planté, musicienne qui compte plus de vingt-cinq ans d’expérience comme compositrice, soliste et interprète, en plus d’être l’une des rares femmes de notre époque à jouer de la guitare flamenca professionnellement.»
C’est ainsi que Sissokho pose sa belle voix sur un riche tissu sonore où la kora et la guitare se relancent, se répondent et produisent des rythmes souvent dansants. «À travers cette création, j’ai souhaité repousser au maximum les limites de mon instrument : la kora. En m’inspirant des envolées d’improvisation propres à la guitare flamenca, j’ai tenté de créer un style hybride où la technique de jeu traditionnelle de la kora s’arrime aux influences du flamenco : un style que j’aime nommer « tradimoderne ».
Didem Başar / Levantine Rhapsody – Apaisants parfums d’Orient
Didem Başar est une musicienne montréalaise d’origine turque qui joue d’un instrument appelé le kanun ou cithare turque. Elle a aussi étudié la composition et enseigné la musique turque et les techniques de jeu du kanun à Istanbul de 2001 jusqu’à son arrivée au Canada, en 2007.
«Après quinze années à composer et à accompagner de nombreux artistes et ensembles, je souhaitais désormais me consacrer à un projet plus personnel, qui combinerait deux influences musicales : les musiques classiques turque et occidentale. Le dialogue que j’ai ainsi créé entre le kanun et des instruments de tradition classique occidentale (flûtes, percussions, violon et violoncelle) est enrichi de makams turcs (modes), de cycles rythmiques et d’improvisation, dans des compositions à l’approche résolument impressionniste.»
Douceur et sérénité se dégagent de cette rhapsodie levantine (du Levant) qui nous entraîne tour à tour dans une balade en forêt (Bird Song), une plongée dans la mer (Méduse) et même un joyeux «5 à 7». Une «suite impressionniste» qu’on se prend à écouter en boucle !
Duo Perse-Inca / Échos des Montagnes – Dialogue de deux peuples ancestraux
Le Duo Perse-Inca est né à Montréal d’une rencontre entre des artistes porteurs de traditions du Pérou et de l’Iran. Né à Téhéran, Showan Tavakol est un musicien et compositeur d’origine kurde. Ses œuvres ont été interprétées en concert en Europe, en Asie et en Amérique du Nord; il a aussi composé pour le cinéma, notamment pour le film Manuscripts Don’t Burn (Mohammad Rasoulof), présenté au Festival de Cannes en 2013. Il joue du kamancheh qu’on définit comme une «vièle à pique rustique» dont l’origine remonte au moins au IXe siècle. De son côté, Federico Tarazona est considéré comme un virtuose du charango andin. Il s’agit d’un instrument à cordes pincées des peuples autochtones des Andes, inspiré des diverses formes de guitares anciennes apportées par les colons espagnols, au XVIe siècle.
Le duo a construit son disque comme un dialogue entre deux peuples ancestraux. «Dans Carnaval Ayacupersa, le charango fait entendre les motifs caractéristiques de la musique de carnaval de la région d’Ayacucho au Pérou, pendant que le kamancheh reproduit une danse traditionnelle péruvienne qui se teinte peu à peu des sonorités propres à la musique persane.»
«Zapateo de los Lagos est un hommage au guitariste Alvaro Lagos, créateur de la technique de jeu à partir de laquelle Federico élabore son accompagnement au charango. Cette pièce repose sur un rythme de danse afro-péruvienne – le zapateo – auquel se joint le kamancheh dans un rythme plutôt tiré de la danse iranienne.»
Enfin, coup de coeur pour la pièce «Échos des montagnes» suggérant avec grande finesse les échos entendus dans les régions montagneuses au Pérou comme en Iran.
Nazih Borish / Roots of Strings – Voyages au bout des doigts
Nazih Borish est un musicien autodidacte, originaire de Lattaquié (Syrie), où il a fondé une école de oud, instrument à cordes pincées très présent dans les pays arabes. Depuis son arrivée au Canada en 2016, il a joué, notamment, aux côtés d’ensembles tel que Constantinople (Québec) et le Canadian Arabic Orchestra (Ontario). Le compositeur puise ses influences dans les musiques arabes, mais aussi flamenco, blues et jazz.
L’artiste estime qu’il «n’est pas surprenant que le oud côtoie et dialogue si bien avec la contrebasse et les percussions, lui qui est considéré comme l’ancêtre de nombreux instruments à cordes. Les accords qui en émanent sont des mots qui s’envolent à tire-d’aile pour voyager dans les cœurs et répandre ses messages de paix partout à travers le monde.»
Au sujet de la pièce titre de son album, Borish écrit : «Et les racines des cordes, qui s’étendent depuis l’Orient, prennent chemin pour ouvrir les voix. Elles se reposent tantôt en Inde, tantôt en Iran et tantôt entre Bilad El Cham et Constantinople, ensuite en Andalousie et continuent à s’étendre.» Ce disque est une invitation au voyage particulièrement bienvenue en cette période où tant d’avions demeurent cloués au sol.
Ces quatre albums publiés par Analekta bénéficient d’une excellente qualité d’enregistrement. Chacun est accompagné d’un livret où les textes et photos donnent le goût de s’intéresser à ces artistes dont le talent enrichira la vie de nombreux mélomanes.