Nous étions sans doute nombreux à être intéressés à voir (enfin) Macha Grenon sur scène. Hélas, la pièce dans laquelle elle joue, en ce moment, est sombre (c’est un euphémisme), voire haineuse. Il s’agit d’une réinterprétation à tout le moins tordue du mythe d’Orphée par Elfriede Jelinek. La dramaturge autrichienne a transformé en salaud, l’Orphée de la mythologie grecque, ce poète et musicien inconsolable devant la mort d’Euridyce, qui descend aux Enfers, dans le but de la ramener au monde des vivants.
Orphée au banc des accusés
Ici, Orphée est une rock star dont la célébrité empêche sa conjointe Eurydice de s’accomplir comme auteure. Pas plus subtil que ça. Macha Grenon joue cette femme victime, quelque part au milieu de sa vie. Elle essaie d’écrire, mais elle est constamment dérangée par la voix de son conjoint qui lui demande d’être à ses côtés, notamment, avant d’entrer en scène. Stéphanie Cardi, elle, est une jeune Euridyce groupie, victime de ce chanteur, devant lequel elle se sent sans importance. Du coup, c’est cet homme adulé (Pierre Kwenders) qui est la cause de leurs problèmes. C’est à cause de lui, de tout l’espace qu’il occupe, qu’elles se disent réduites au silence, alors qu’elles ne cessent pourtant de vociférer. Il y a pourtant bien des stars féminines qui galvanisent les petites filles, mais l’autrice n’en parle pas. La principale faute de cette rock star est d’être un homme, dont le sperme devient une sorte de pus. C’est aussi à cause de lui qu’Eurydice dit être devenue esclave de l’apparat et des vêtements avec lesquels elle tente de se forger une image. Quant à la danseuse Louise Bédard, elle incarne vraisemblablement Eurydice âgée qui crie, voire hurle, sa colère et son mépris contre le chanteur. Ce dernier, bien entendu, n’a pas voix au chapitre. On ne sait pas ce qu’il pense de tout ce qu’on lui reproche. En fait, il est condamné d’emblée. Et dire que la directrice du théâtre est venue confier au public qu’elle aimait beaucoup cette auteure.
Enfin, ce texte violent et accusateur est alourdi par un environnement sonore agressant, dont un bruit tonitruant de répondeur. On perd beaucoup de mots. Visuellement, on est souvent dans la quasi-obscurité, comme sur l’une des pages du programme de la soirée, où on a écrit sur fond noir une citation d’Elfriede Jelinek : «J’écris sur ce qui détruit».
Ombre Eurydice parle
Texte : Elfriede Jelinek
Traduction : Sophie Andrée Herr
Mise en scène : Louis-Karl Tremblay
Avec : Louise Bédard, Stéphanie Cardi, Macha Grenon, Pierre Kwenders
Au Théâtre Prospero, jusqu’au 27 avril