Plus de 8 ans après l’effacement pur et dur du nom de Claude Jutra du paysage historique du cinéma québécois et de l’espace public de notre belle province, voici Onze jours en février, le long métrage documentaire écrit et réalisé par Jean-Claude Coulbois, qui retrace les onze jours qui ont suivi la publication de la biographie de Jutra par le critique Yves Lever pour en arriver à cet ouragan de commentaires, de réactions et d’enchainements d’événements radicaux.
Ce film bénéficie de la participation de Denys Arcand, Dany Boudreault, Éric Daudelin, Rock Demers, Jean-Claude Hébert, Marcel Jean, Lucette Lupien, Hugo Pilon-Larose, André Roy, Eve Séguin et Thomas Vamos. Tous reviennent sur cette période noire, avec un certain recul et toujours beaucoup d’émotions. Un documentaire pour faire réfléchir, se souvenir et se poser la question, est-ce que collectivement on a réagi trop rapidement et drastiquement ?
Résumé : En 2016, à la veille de la publication d’une biographie de Claude Jutra, un des plus célèbres et célébrés cinéastes du Québec et du Canada, une fuite coulée dans la presse révèle que le livre contient des allégations anonymes d’actes pédophiles commis par le cinéaste. La rumeur se répand comme la foudre embrasant d’un coup l’ensemble de la société québécoise. En retrouvant aujourd’hui certains des principaux témoins propulsés du jour au lendemain au cœur d’une tornade médiatique sans égale, le documentaire recompose avec des images d’archives et d’autres inédites, l’enchainement des événements qui ont entraîné une réécriture de l’Histoire.
Ce documentaire qui revient sur les événements de février 2016 pourrait rouvrir des plaies, réanimer les débats, mais assurément, il ne laissera personne indifférent et permet au spectateur d’avoir un portrait assez juste de ce qui s’est passé et pourra lui-même se questionner.
Où étais-je lors de ces événements ? Quel en est mon souvenir ? Pourquoi est-ce que l’effacement de Claude Jutra, un des pères fondateurs du cinéma québécois, a-t-il été si facilement et rapidement effectué, dans la pure indifférence collective ?
Ce documentaire relate avec justesse, précision et de manière cohérente les événements survenus durant ces onze jours, suivant la divulgation de quatre lignes de la biographie de Jutra par le critique Yves Lever : « Si certains de ses amis pensent que ces pratiques pédophiles sont surtout platoniques, de nombreux témoignages révèlent que ce n’est pas le cas (…) personne n’a porté plainte auprès des autorités. »
À partir de vidéos d’archives télé de l’époque, d’entrevues et de séquences audios de la radio de 2016, on retourne en arrière pour se rejouer les événements marquants de ces journées.
On revoit l’annonce aux nouvelles de la publication du livre, on réécoute les débats radiophoniques autour de ces allégations. On se remémore aussi la recherche, par les journalistes, de témoignage de ces victimes du présumé pédophile. Et on revoit la ministre Hélène David demander le retrait du nom de Jutra au Gala du cinéma en plus du retrait du nom Claude-Jutra sur les noms de rues et places publiques. Tout cela en à peine 11 jours.
En plus des archives, il y a plusieurs personnes liées de près ou de loin à cet événement qui, aujourd’hui, donnent leur point de vue, avec du recul et beaucoup d’émotions. Et c’est cela qui est très intéressant, car on peut alors nous aussi se faire une idée, une tête, à partir de ces témoignages de gens qui sont tout de même assez partagés. Cela ne change rien à ce qui s’est passé, mais il peut être bon de revisiter cette période noire, décortiquer, analyser les réactions et voir si on peut apprendre de cela pour l’avenir.
Parmi les témoignages, il y a Éric Daudelin le fils de Charles Daudelin qui a construit la statue Claude-Jutra érigée dans le parc du même nom. Il y a aussi Lucette Lupien responsable de la création du parc Claude-Jutra.
Il y a aussi Jean-Claude Hébert, un avocat qui décortique au niveau juridique ce qui s’est passé et explique ce que sont les allégations, les rumeurs, et ce qui est accepté en cour comme preuve, lors de procès, et la présomption d’innocence avant d’être jugé.
Devant un juge, les arguments invoqués à propos de Jutra ne tiennent pas la route. Il n’y a pas de preuves, le plaignant est demeuré anonyme et Claude Jutra n’était pas là pour se défendre (atteint par la maladie d’Alzheimer, il s’est suicidé en 1986). Ainsi, il démontre que Claude Jutra a été jugé par le public, suite à des allégations, sans avoir pu s’exprimer en cour, sans avoir été condamné, il a été exécuté sur la place publique. Claude Jutra, d’allégation à exécution, sans condamnation ?
Et c’est un peu ce que Denys Arcand également dénonce dans son témoigne fort éloquent et émouvant. Il n’en revient pas que l’un des pères fondateurs du cinéma québécois fut jugé et retiré de la place publique par les autorités gouvernementales en seulement onze jours, alors que l’on sait que le gouvernement agit habituellement très, très lentement, surtout quand on parle de culture.
Selon lui, le gouvernement est frileux à la moindre plainte. Il cite en exemple les controverses entourant les spectacles de Robert Lepage, Slave et Kanata qui ont été arrêtés rapidement dès les premières plaintes. Denys Arcand conclut qu’une personne soupçonnée de pédophilie, s’il est vivant, oui, il peut être dangereux et il faut agir rapidement. Mais s’il est mort, il ne peut plus rien faire de mal. Pourquoi réagir si vite et si drastiquement surtout qu’il n’a jamais été condamné et cela a été fait avant même que les présumées victimes se révèlent.
Car oui, il y a eu deux témoignages de victimes à l’époque, une sous le couvert de l’anonymat et l’autre de Bernard Dansereau. Il aurait été intéressant d’avoir son point de vue aujourd’hui sur l’effacement du nom de Claude Jutra. Car, à mon avis, ce sont les victimes qui doivent le plus en souffrir de ce nom qu’on voit partout.
Malheureusement, il ne fait pas partie du documentaire et c’est tout de même comprenable. On a par contre l’acteur Dany Boudreault qui vient également témoigner aujourd’hui et il apporte justement cet argument concernant les victimes. Lui-même était un grand admirateur de l’œuvre de Jutra et se demande si cela est juste de faire fi d’une œuvre complète aussi magistrale et importante pour le Québec suite à une personnalité déviante que l’on découvre sur le tard. J’adore son commentaire : «On cherche des héros et quand ils nous déçoivent, alors on les éliminent»
« L’enchaînement des faits qui rythment l’affaire Jutra mérite qu’on y porte un regard attentif autant pour ce qu’ils expriment de l’inconscient collectif que pour les diverses suites et variantes qui ne cessent de surgir dans l’actualité. C’est en décortiquant les couches qui enveloppent cette ténébreuse affaire que le film trouve sa raison d’être et son actualité, car ce mutisme prolongé comme cette façon de laver l’histoire disent précisément quelque chose de notre société. » Jean-Claude Coulbois.
SCENARIO
JEAN-CLAUDE COULBOIS
ÉQUIPE
LES PRODUCTUONS ITCHIGO ITCHI É Production
FUNFILM DISTRIBUTION Distribution
GEOFFROY BEAUCHEMIN Direction de la photographie
ANNIE JEAN Montage
OLIVIER CALVERT Conception sonore
MARTIN M. MESSIER Mixage sonore
LARSEN LUPIN musique originale
Québec 2024 Durée 81 minutes
Crédit photos : courtoisie de FUNFILM