C’est un gros morceau de notre saison théâtrale que s’apprête à dévoiler le Théâtre Jean-Duceppe. Le thriller écologique Pétrole de François Archambault, première pièce issue des résidences d’écriture de Duceppe, prend forme avec une imposante distribution où l’on retrouve, entre autres, Éric Bernier, Frédéric Blanchette, Louise Cardinal, Jean-François Casabonne, Simon Lacroix et Marie-Ève Milot. Entrevue avec l’auteur de cette fiction inspirée de faits réels.
Le dramaturge François Archambault* qui s’est installé dans notre imaginaire avec, entre autres, ses pièces La Société des loisirs (2003) et Tu te souviendras de moi (2013), admet qu’il vit un certain vertige à l’approche de la première de Pétrole. «À ce stade-ci de ma carrière, j’avais envie de me mettre en danger et de sortir de ma zone de confort. Je n’avais pas encore écrit de pièce pour un grand plateau comme celui de Duceppe et c’est une chose qui, à la fois, m’attire et m’effraie.»
Drame humain
Californie, 2018. Des forêts brûlent. On soupçonne Jarvis Larsen (Simon Lacroix), un scientifique respecté, d’avoir provoqué ces incendies. Comment aurait-il pu en arriver là? On apprend qu’en 1979, alors jeune et idéaliste, Larsen a été recruté par une compagnie pétrolière pour y évaluer la faisabilité d’une transition énergétique, en vue de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Débuta alors le combat d’une vie pour cet homme, déchiré entre ses devoirs professionnel et éthique. Coincé dans des négociations tendues entre des scientifiques militants, des lobbyistes pétroliers et des représentants de la Maison-Blanche, Larsen trouvera une ultime porte de sortie qu’il franchira avec fracas !
Éléments déclencheurs
«J’ai écrit mes premières répliques au début de l’été 2018, une saison particulièrement chaude avec des canicules mortelles en France et des incendies spectaculaires en Californie. C’est cet été-là que Greta Thurnberg s’est installée devant le parlement suédois, réclamant des actions pour combattre les changements climatiques. Quelques mois plus tard, Nicolas Hulot, Ministre de la Transition Écologique et Solidaire au sein du gouvernement Macron, démissionnait, découragé par la lenteur de son gouvernement à agir.
L’année suivante, nous étions un demi million dans les rues de Montréal à marcher pour le climat. Bref, pendant que j’écrivais la première mouture de la pièce, j’ai vu naître un sentiment d’urgence, le momentum semblait
vraiment s’installer.»
Fiction et réalité
Archambault a décidé de situer le début de l’histoire de Pétrole au tournant des années 80, après avoir lu un dossier du New York Times intitulé Losing Earth : The Decade We Almost Stopped Climate Change (Nathaniel Rich, 2018).
«Ce reportage m’a appris qu’il y a bel et bien eu, en 1980, en Floride, une commission gouvernementale sur le réchauffement climatique. Divers intervenants ont alors expliqué que ce menaçant phénomène était enclenché, mais on ne s’est entendu sur aucune mesure pour désamorcer cette bombe environnementale !
Bien loin d’un sentiment d’urgence, les gens réunis pour discuter de l’avenir de la planète choisirent d’interrompre leurs travaux et de prendre une pause de trois heures pour profiter de la plage de l’hôtel, malgré le peu de temps dont ils disposaient ! Si on avait alors mesuré le sérieux de la situation et décidé de commencer la transition énergétique, nous ne serions pas acculé au pied du mur comme c’est le cas aujourd’hui.»
Si le personnage central de la pièce est fictif, le gigantesque incendie qu’on lui attribue fait référence aux feux de forêts meurtriers qui ont effectivement ravagé la Californie en 2018. De plus, Larsen a des interlocuteurs inspirés d’activistes et de scientifiques qui ont vraiment existé, précise Archambault.
Pétrole réunit une vingtaine de personnages interprétés par onze comédiens. L’action se déroule en divers endroits, principalement aux États-Unis. «Les lieux, les dates et les noms des personnages, seront parfois projetés sur l’écran de fond de scène pour plus de clarté.» Quant à la petite fille de Larsen, elle habite à Montréal d’où elle apprend la terrible histoire de son grand-père.
Et maintenant ?
M.Y.C
Que pensez-vous de la loi québécoise visant principalement à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures ainsi qu’au financement public de ces activités ? Plusieurs observateurs estiment que cette loi va contribuer à maintenir notre dépendance au pétrole importé et ne réduira pas nos émissions de gaz à effet de serre.
F.A.
Je crois que plus on continue à développer de nouveaux projets en vue d’exploitation pétrolière, plus on aggrave la situation environnementale.
M.Y.C
-Que souhaitez-vous que l’on retienne de votre pièce ? Est-il trop tard pour sauver la planète ?
F.A.
-Ça me semble clair qu’on a manqué le bateau, en ne décidant rien lors de cette rencontre sur le réchauffement climatique de 1980. Il faut maintenant trouver des moyens d’amoindrir le choc qui est devenu inévitable. La réalité est complexe. Ce qui m’intéresse, c’est la multiplicité des points de vue qu’apportent mes personnages.
Pétrole
Texte : François Archambault
Mise en scène : Édith Patenaude
Avec : Éric Bernier, Frédéric Blanchette, Louise Cardinal, Jean-François Casabonne, Paméla Dumont, Ariel Ifergan, Simon Lacroix, Jean-Sébastien Lavoie, Marie-Ève Milot, Olivia Palacci, Elkahna Talbi
Au Théâtre Jean-Duceppe du 13 avril au 14 mai
*Première photo : François Archambault, auteur de la pièce Pétrole.