Hier, lors de sa prestation du troisième concerto de Prokofiev au Concours musical international de Montréal, l’Américain Anthony Ratinov l’a joué d’énergique manière tout à fait magistrale malgré sa jeunesse radieuse et franchement impeccable à chaque mouvement (il en était satisfait lui-même, mais, évidemment, un perfectionniste s’évalue au toucher de chaque note comme sans cesse imparfait encore!).
Ratinov à l’oeuvre il y a un mois.
Pour situer sa performance face aux enregistrements préférés de ma discothèque – qui est une discothèque très moyenne de vingt mille enregistrements de toutes les oeuvres majeures du répertoire pianistique- Ratinov l’a joué du début à la fin très certainement au niveau de l’enregistrement éblouissant de Freddy Kempf (étiquette Bis) accompli avec l’orchestre philharmonique de Bergen sous le bâton de Andrew Litton.
Les suprêmes versions appartiennent encore, à mon humble avis, à Horacio Gutierez sous Neeme Järvi et le Royal Concertgebouw (étiquette Chandos) sans oublier Martha Argerich sous Dutoit et l’OSM, j’aime aussi passionnément une version avec Van Cliburn (Chicago sous Walter Hendl) et une autre encore d’Argerich avec Claudio Abbado et la Berliner Philharmonie.
Au terme de ses envols fulgurants, tout l’orchestre d’hier a généreusement applaudi Ratinov quoique on ne bénéficiait ni de Brian Manker (violoncelle solo), ni de Victor Fournelle-Blain (alto solo) et non plus de Andrew Wan (premier violon de l’ensemble orchestral). La partie la plus spectaculaire de la prestation de Anthony Ratinov fut le second mouvement, ce fascinant Thème et variation d’une originalité remarquable très goûtée du public.
Pour ce qui est du Concerto no. 1 de Tchaikovsky, le Britano-Coréen-du-sud Élias Ackerley a paru solide du début à la fin, mais le tout joué comme l’incendiaire morceau de bravoure que cela paraît être (et le restera) au premier abord, même à la majorité des virtuoses le choisissant.
Là où l’événement s’est produit puisqu’on l’a entendu une seconde des trois fois où il est prévu en finale… c’est l’interprétation survoltée d’aisance virtuose et de sensibilité romantique déployées par l’élégant Gabriele Strata. Du bout des doigts sans relâche d’originales et personnelles dynamiques nuancées à l’extrême, des phrasés habiles. Gabriele Strata levait tous les obstacles de la virtuosité exigée en y ponctuant ses inflexions touchantes et bouleversantes ce à quoi on n’est guère habitué tant en direct qu’en enregistrement.
En voilà un promis à une très grande carrière si on en juge, par surcroît, à la très grande agence européenne d’artistes qui le représentera désormais et surtout par la qualité rarissime de son jeu pianistique tout au long du concours. Tout ça peut expliquer comment, d’une voix unanime, le public lança d’enthousiasme, en se levant d’un bond énergique ce retentissant Bravissimo! qui réverbéra de longues secondes bouleversantes jusqu’au ciel de la Maison Symphonique.
Ce soir, jeudi 16 mai 2024 à 19h30, le courageux Canadien d’origine ukrainienne Jaeden Izik-Dzurko offrira le deuxième concerto pour piano opus 83 de Brahms, malgré qu’il n’aura eu lui aussi que 50 minutes syndicales de répétition avec l’OSM (espérons que reviendront ses atouts des premières chaises du quatuor à cordes) pour les réglages extrêmement sophistiqués qu’exige cette oeuvre suprême parmi toutes. Situation difficile pour le Canadien puisque – avec notre ensemble de qualité comparable au Gewandhaus de Leipzig- ça exigerait plusieurs heures d’attentives d’harmonisations et de synchronismes planifiés…
Quel courage chez ce pianiste de chez nous que d’avoir voulu persévérer à vouloir offrir un tel monument du répertoire sous de telles conditions lamentables de répétition! Le Polonais Jakob Kuzlik jouera, pour l’oreille séduite du public, le très lyrique second concerto en do mineur de Rachmaninoff.
Finalement, l’Américain Derek Wan, rempli d’entrain et d’alacrité depuis le début du concours, jouera le fameux premier de Tchaïkovsky selon ses conceptions artistiques légitimes.
En accueil : Anthony Ratinov par Ejuva Ravel