Près de 34 ans après la tuerie de l’École polytechnique de Montréal, les comédiens Jean‑Marc Dalphond et Marie‑Joanne Boucher présentent leur pièce de théâtre documentaire intitulée, Projet Polytechnique. En plus de jouer leurs propres rôles sur scène, les coauteurs de ce spectacle de près de 3 heures, se penchent aussi sur l’attentat de la grande mosquée de Québec et ils se questionnent sur d’autres bains de sang tristement célèbres. Comment expliquer toute cette violence ? Qu’est-ce qui fait obstacle à un contrôle plus serré des armes à feu? Ce ne sont là que quelques unes des questions qui les préoccupent. Compte-rendu d’un spectacle qui s’éparpille.
Neuf comédiens sur scène
L’idée de Projet Polytechnique a commencé à germer le 6 décembre 2018, alors que Jean-Marc Dalphond venait de publier sur les réseaux sociaux, la liste des noms des 14 victimes du massacre de Polytechnique, dont celui de sa cousine Anne-Marie Edward. L’homme était bouleversé après avoir reçu plusieurs messages haineux, à la suite de cette publication.
De fil en aiguille, il en fait part à Marie-Joanne Boucher qui, elle aussi, est stupéfaite! Elle veut savoir qui sont les admirateurs du tireur, Marc Lépine, une trentaine d’années après son carnage. Boucher et Dalphond se lancent, alors, dans leur aventure de théâtre documentaire qui les amènera à effectuer de nombreuses entrevues avec différentes personnes liées à la tragédie.
Cinq ans plus tard, par l’intermédiaire des sept comédiens qui les entourent sur scène, les deux protagonistes s’entretiennent, notamment, avec Guy Morin, président de Tous contre un registre québécois des armes à feu et le blogueur Jean-Claude Rochefort, condamné, en janvier 2023, à un an de prison, pour avoir fait l’éloge du tueur de Polytechnique.
Parmi les autres personnalités incarnées dans ce spectacle : Nathalie Provost, blessée lors de la tragédie, l’ex-chef de police Jacques Duchesneau, la militante féministe Léa Clermont‑Dion et la journaliste Francine Pelletier.
Tous ces personnages apportent des informations qui sont souvent, teintées de commentaires. Par exemple, l’une des protagonistes lance qu’elle pourrait éventuellement pardonner au tueur Marc Lépine, mais qu’elle ne pardonnera jamais à l’ex-premier ministre conservateur, Stephen Harper, à qui elle reproche d’avoir aboli le registre canadien des armes à feu.
Mémoire sélective
Dès le début de la pièce, on constate qu’on y aborde des questions difficiles à circonscrire dans le cadre d’un spectacle qui va dans autant de directions! On fouille aussi les motivations du tireur Alexandre Bissonnette qui a ouvert le feu et fait six morts au Centre culturel islamique du Québec, le 29 janvier 2017. De plus, on évoque la fusillade au Collège Dawson, à Montréal, en 2006.
Comme si ce n’était pas suffisant, on s’intéresse à la tuerie de Columbine, au Colorado, en 1999 et aux attentats perpétrés contre deux mosquées de la ville de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en 2019.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet exercice de mémoire est très sélectif! En effet, pas un mot sur l’attaque terroriste islamiste perpétrée contre le journal satirique Charlie Hebdo, à Paris, en janvier 2015. Pas un mot, non plus, sur le massacre au Bataclan, survenu en novembre 2015 et revendiqué par l’organisation terroriste État islamique (Daech).
Projet polytechnique finit par assommer son public qui est déjà exposé quotidiennement aux images terrifiantes qui nous viennent de la guerre entre Israël et le Hamas. Malgré une mise en scène globalement efficace de Marie‑Josée Bastien et des comédiens polyvalents qui jouent aussi de la musique live, cette pièce demeure essentiellement sermonneuse!
Difficile de conjuguer le thème lourd de la violence avec la formule de théâtre documentaire qui a fait le succès de J’aime Hydro de Christine Beaulieu et Run de lait de Justin Laramée. S’il est vrai qu’une certaine légèreté peut égayer le propos quand on parle d’électricité ou de produits laitiers, c’est une tout autre histoire lorsqu’il est question d’haïr et de tuer! Finalement, après 2 heures 50 minutes aussi ternes, une question s’impose : le théâtre documentaire se prête-t-il à tous les sujets?
Projet Polytechnique
Idéation et texte de Marie‑Joanne Boucher et de Jean‑Marc Dalphond
Mise en scène de Marie‑Josée Bastien
Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu’au 13 décembre.
Puis, en tournée au Québec, jusqu’en avril 2024.