Le spectacle Royal à l’affiche au Théâtre Jean-Duceppe est visuellement percutant! L’adaptation du roman de Jean-Philippe Baril Guérard, qui dépeint l’univers sans pitié d’étudiants en droit, prêts à tout pour se tailler une place, devient une épreuve physique! La gestuelle des corps qui s’attirent et se repoussent est au coeur de cette mise en scène de Virginie Brunelle et Jean-Simon Traversy, réunissant dix interprètes, récemment sortis des écoles de théâtre. Les personnages tourmentés se tournent parfois vers une caméra qui nous envoie leur image en gros plan sur un rideau scintillant. Jusqu’où iront ces jeunes loups? Cette quête de la performance à tout prix nous tient en haleine jusqu’à la fin.
Avant même l’entrée en scène des comédiens, des visages apparaissent sur un rideau. Ce sont, en fait, ces étudiants sans gêne qui annoncent leurs couleurs en dévisageant les spectateurs. Les protagonistes seront sans pitié car ils savent que seulement quelques uns d’entre eux vont être choisis pour un stage dans un grand cabinet de droit des affaires, étape déterminante pour leur carrière. En plus de travailler à obtenir les meilleures notes, chacun cherche à se distinguer, en tentant d’éliminer des compétiteurs, n’hésitant pas à recourir à des coups bas.
Pour aider le public à entrer dans cet univers, chaque personnage se présente brièvement. L’exercice est un peu fastidieux mais, même si on ne retient pas tout, on sait rapidement à qui on a affaire. Les brillants étudiants de la « section A », qui se voient comme l’élite de la société, rencontrent une avocate d’un prestigieux cabinet chargée de trouver de nouvelles recrues. Chacun de ces arrivistes reflète divers aspects de la férocité de ceux et celles qui cultivent un sentiment de supériorité. Dans cette excellente distribution, on remarque, entre autres, Vincent Paquette, dans le rôle du personnage principal d’Arnaud, jeune homme d’Outremont qui semble carburer depuis toujours aux idées de grandeur.
Les non-dits
Tout ce beau monde tente de cacher ses failles mais, la pression finit par miner même les plus coriaces. C’est alors que l’une des comédiennes vient souligner que le suicide n’est jamais une option, en rappelant que le Québec a connu des années particulièrement sombres à ce chapitre. On évite toutefois de mentionner qu’aujourd’hui encore, il y a trois fois plus d’hommes que de femmes qui s’enlèvent la vie dans la Belle Province.
Regrettable, également, que «l’auteur, reconnu pour décrire les milieux toxiques avec un flamboyant cynisme» (selon le programme du spectacle), ne dise pas un mot non plus sur nos universités qui organisent des concours d’embauche excluant d’emblée les hommes blancs. Taire une pareille discrimination dans une pièce sur la vie universitaire actuelle, me semble une énorme omission! N’aurait-il pas fallu actualiser un peu le roman Royal, publié en 2016?
S’il faut dénoncer les privilèges des classes dominantes, ne faut-il pas aussi démasquer des courants à la mode qui se prétendent inclusifs en excluant carrément de valeureux candidats, au nom de la discrimination dite positive? À moins que l’auteur préfère taire certaines formes de toxicité pour ne pas heurter une clientèle woke…
Cela dit, malgré l’intensité des sujets abordés, on est rarement ému par les tribulations de ces personnages. En fait, Royal est un spectacle réussi, surtout au niveau de la forme. L’univers visuel dans lequel se déroule l’action est à la fois flamboyant et mystérieux comme les âmes énigmatiques de cette faune féroce et pourtant fragile.
La musique de Nicolas Basque dégage une énergie qui sert bien la fougue de ces jeunes insatiables. Les numéros dansés s’intègrent remarquablement aux dialogues.
Enfin, ce portrait des valeurs qui animent nos futurs avocats n’est certes pas rassurant mais, il a le mérite d’attirer notre attention sur une réalité plutôt rarement mise en lumière.
Royal
Texte et adaptation : Jean-Philippe Baril Guérard
Mise en scène : Virginie Brunelle et Jean-Simon Traversy
Interprétation : Xavier Bergeron, Romy Bouchard, Florence Deschênes, Irdens Exantus, Parfaite Moussouanga, Vincent Paquette, Jérémie St-Cyr, Pierre-Alexis St-Georges, Valérie Tellos, Aline Winant
Au Théâtre Jean-Duceppe, jusqu’au 11 mai
*Photos fournies par le Théâtre Jean-Duceppe