La Licorne était remplie à craquer, en ce doux samedi après-midi de novembre, pour assister à la pièce de théâtre documentaire Run de lait de Justin Laramée. Le comédien a passé cinq ans à enquêter sur les dessous énigmatiques de cette industrie majeure dans l’économie québécoise et souvent déterminante pour l’avenir des régions. Pourquoi la Belle Province a-t-elle perdu la moitié de ses fermes laitières en vingt ans ? Qu’est ce qui cause la détresse des producteurs laitiers où on remarque un taux élevé de suicide ? L’artiste montréalais a questionné des dizaines d’acteurs du monde laitier; leurs réponses ont de quoi secouer les simples consommateurs que nous sommes.
Que se cache-t-il dans nos produits laitiers ?
Buveurs de laits, dégustateurs de fromages, amateurs de crème glacée, etc., avez-vous une idée de la façon dont on détermine les classes de lait ? Pouvez-vous expliquer ce qu’est la gestion de l’offre ? Que savez-vous des conséquences du nouvel accord de libre-échange sur notre industrie laitière ? Toutes ces questions concernent pourtant des produits consommés quotidiennement par des millions de consommateurs ignorants et complices du contournement des règles.
Heureusement, Justin Laramée aborde ces sujets compliqués avec une généreuse dose d’humour et d’autodérision. Il discute avec ses interlocuteurs dont la voix nous parvient à travers une dizaine de haut-parleurs qu’il déplace en fonction des conversations. On y entend, entre autres, l’émouvante veuve d’un propriétaire de ferme laitière qui s’est suicidé, ainsi que des fermiers, différents spécialistes, des politiciens, etc.
Travailleur acharné, le comédien a parcouru le Québec pour mener son enquête. Il n’a pas toujours obtenu des réponses à ses questions, que ce soit chez Saputo ou Parmalat. Il a cependant réussi à interviewer le président d’Agropur et même la ministre de l’Agriculture du Canada Marie-Claude Bibeau et son homologue québécois André Lamontagne.
Les différents côtés de la médaille

Photo : Stéphane Bourgeois
Qui est responsable des aberrations qui affectent notre industrie laitière ?
Plusieurs intervenants donnent l’impression de se renvoyer la balle mais, Run de lait évite généralement d’accuser qui que ce soit. On s’efforce admirablement d’exposer différents points de vue sur les principales questions en cause.
À ce chapitre, Benoît Côté, batteur et pianiste qui contribue de belle façon à dynamiser le spectacle, s’avère aussi un redoutable avocat du diable. L’homme, qui héritera éventuellement de la ferme de ses parents avec son frère, a une vision terre à terre de la réalité agricole et il déboulonne parfois les opinions de son partenaire de scène
Durant deux heures, Run de lait nous bombarde d’information et de témoignages. Il y a là un travail d’enquête colossal ! C’est dense ! On apprend beaucoup et malgré la complexité du propos, on se sent toujours concerné. Laramée est passionné par son sujet; il s’emporte et réveille en nous l’indignation. C’est intense et un peu essoufflant ! Heureusement, on rit souvent et la conclusion se fait en douceur sur une note d’espoir. Le spectacle est à l’affiche durant un mois à La Licorne, mais les billets s’envolent vite !
D’abord présenté au Trident, en mars dernier, Run de lait vient d’être couronné Meilleur spectacle de l’année, par la section Québec de l’Association québécoise des critiques de théâtre.

Photo : Stéphane Bourgeois
Run de lait
Texte et idée originale Justin Laramée
Co-mise en scène Olivier Normand et Justin Laramée
Avec Justin Laramée accompagné de Benoît Côté à la conception sonore
Au théâtre La Licorne, jusqu’au 21 décembre