Ouverture de la cent-vingt-sixième saison du Ladies Morning Musical Club
Au programme du Trio MONTROSE:
Dimanche le 10 septembre 2017 à 15h30. Salle Pollack. Joseph Haydn: Trio en mi bémol majeur Hob.:XV:29 Dimitri Shostakovitch: Trio en mi mineur opus 67.
Anton Arensky: Trio en ré mineur opus 32.
Martin Beaver, violon.
Clive Greensmith, violoncelle.
Jon Kimura Parker, piano.
Le récital du trio MontRose du dimanche 10 septembre dans des oeuvres de Joseph Haydn, Dimitri Shostakovitch et Anton Arensky (un des professeurs de Rachmaninoff) fut un franc succès. Que de découvertes les mélomanes auront faites au fil des décennies, à la salle Pollack, salle toujours d’aussi excellente acoustique et dont jouit en permanence la faculté de musique de l’Université McGill (désormais jointe ou assimilée à l’École Schulich).
Les séries de récitals du Ladies Morning Musical Club -LMMC- y ont cours et elles demeurent toujours aussi bien conçues, le tout avec un naturel sans décorum autre que l’invitation aux meilleur(e)s à s’y produire. L’abonné y entre, depuis 126 ans dans des salles qui ont certes changé, mais toujours en confiance de la qualité des heures qu’il y passera. Il y a même jusqu’à la conception du programme avec des notes explicatives astucieuses qui osent enfin ne plus banalement traduire leur contenu de l’anglais ou du français mais qui s’ajoutent les unes aux autres à la connaissance des mélomanes sereins, sensés et absolument instruits dans nos deux langues nationales puisque il est si redondant d’entendre dire ou de relire chaque fois les mêmes détails biographiques relatant la genèse des oeuvres au programme. Enfin, une initiative comme celle-là respecte les unilingues pour les instruire des oeuvres mais les pousse aussi, s’ils veulent complémenter leur instruction, à s’intéresser à ce qu’on raconte dans la seconde langue européenne dont nous jouissons avec exactitude à Montréal quand nous la maîtrisons avec enthousiasme, fierté et joie. La musique ne sera jamais le domaine des fainéants.
Le LMMC a publié, l’an dernier, un répertoire glorieux de tous les grands musiciens venus jouer à Montréal, sous leur invitation dans le cadre de leurs séries. Au fil des 125 premières années de concerts, la liste est des plus impressionnantes: elle fait de Montréal un petit Manhattan. Tous les grands noms de la musique y figurent sauf les Russes Richter, Gilels, David Oistrach et Oleg Kagan de même, hélas, que l’incomparable Claudio Arrau puis aussi peut-être Alicia de Larrocha dont j’ai cherché en vain le nom. La surprise de cette liste comme trésor de chasse réjouit le coeur de tout mélomane car on a pu compter, chez nous, des récitals de Nathan Milstein, Eugène Isaye, Henryk Szering, Jascha Heifetz, Gil Shaham,, James Ehnes 6 fois, Hilary Hahn 2 fois, Christian Ferras…(mais nulle part ai-je vu le nom d’Ida Haendel). Le haut du podium revient à la liste de tous les grands quatuors à cordes accourus parmi nous.
Bien sûr, la grande pédagogue Yvonne Hubert avec son frère Marcel au violoncelle, cette fervente musicienne dont tous les élèves ont été invités plusieurs fois à se produire au LMMC (Ronald Turini 5 fois, William Tritt, André Laplante 7 fois si on compte son récital du premier octobre prochain, Louis Lortie deux fois, Marc-André Hamelin 3 fois, Janina Fialkowska 2 fois) . Ce tableau de l’élite musicale mondiale constitue un trésor pour notre ville avec des noms qui feront toujours rêver tels Guiomar Novaes, Rosalyn Tureck venue 7 fois, Gina Bachauer, Myra Hess…enfin c’est sans nommer Rubinstein (Artur), Géza Anda, Ivan Moravec, Nikita Magaloff, Shura Cherkassky, Glenn Gould, Walter Gieseking, Radu Lupu, Rudolf Serkin et Vladimir Horowitz revenu deux fois et Clara Haskil accompagnant le soprano Rose Armandie. Ne délaissons jamais la souvenance de ce passé qui nous rend certes souvent nostalgique mais toutes les grandes oeuvres classiques du théâtre, de la musique et de la littérature nous projettent dans un temps passé éternisé où la beauté triomphe comme notre seul unique idéal: le Ladies Morning Musical Club appartient à cette mission-là.
Le trio MontRose venu ce dimanche, que nous avons écouté attentivement, n’existe que depuis 2013 et il est constitué de deux anciens membres du défunt Tokyo String Quartet et du pianiste canadien Jon Kimura Parker celui-là même qui, ayant jadis remporté le premier prix du Leeds Competition en 1984 est désormais devenu professeur de musique aux États-Unis en plus d’entretenir une certaine carrière de pianiste de concert à l’étranger. On se souviendra que le pianiste québécois Louis Lortie qui venait tout juste de remporter le premier prix du concours Busoni, quelques jours plus tôt de cette année 1984, n’avait été classé que quatrième de la finale à cette même édition du concours Leeds, au grand scandale du public anglais d’alors dont il avait été l’incontestable coqueluche.
Il est toujours intéressant de suivre les destinées et carrières des artistes car leur volonté seule triomphe des embûches et leur talent finit à l’occasion par triompher des aléas de la vie artistique.
Ma dernière audition live des musiciens du Tokyo String Quartet remontait à 1985 (au Saint-Lawrence Center à Toronto) et je ne dispose plus des notes exactes du programme dont j’avais fait recension alors pour m’assurer que les deux membres actuels du trio MontRose en faisaient alors partie. Cependant, je me remémore vivement ma première audition live de Jon Kimura Parker à Toronto, en décembre 1980 alors qu’il remplaçait au pied levé Louis Lortie alors gravement malade (on l’avait même craint irrémédiablement malade), peu de temps avant Noël, à une époque où Glenn Gould était encore en vie. Kimura Parker avait choisi un programme Beethoven (Appassionata), un ou deux nocturnes de Chopin et des préludes et études-tableaux de Rachmaninoff. J’avais trouvé alors son jeu trop dur et faible en termes de nuances et de sensibilité. Le temps a passé. Si Kimura Parker joue toujours aussi « solidement » , trente-sept ans plus tard, mon opinion sur son écoute ou sa sensibilité se bonifie parfois à son égard : davantage parce qu’il y a quelques moments où je suis resté envoûté par le résultat d’accompagnement de l’ensemble, comme lors du troisième mouvement de l’élégie (marquée adagio) du Trio en ré mineur, opus 32 d’Arensky. Le Trio en mi mineur opus 67 de Shostakovitch avec sa neurasthénie désespérée (époque du siège allemand visant à l’agonie de saint Petersbourg en 1944) m’a aussi vivement remué tellement rempli, comme il est, des réminiscences d’autres oeuvres du compositeur qui s’y trouvent incluses.
Jouer et s’écouter, écouter les autres et les accompagner, accompagner les autres en les écoutant chanter car tout est et doit être chant (dixit Chopin!), c’est immense. Durer dans le milieu de la musique classique relève du prodigieux même quand on a été enfant prodige et c’est le cas de tous ceux que j’ai nommés ici dans cette recension.
Je reste donc toujours surpris du sort des artistes. J’ai conservé, depuis 1976 que je me rends à toutes les occasions d’audition à ma modeste portée, tous les programmes des concours internationaux de musique de Montréal (sous madame Marcil et ceux du CIMM à présent). En feuilletant minutieusement les pages des programmes, j’y lis et revois le nom de tant de prétendants à une carrière musicale. J’y revois et souligne le nom des éliminés repartis ailleurs triompher, parfois, mais la plupart de ces gagnants et de ces lauréats finalistes ont disparu de la scène. Plusieurs se sont réfugiés dans l’enseignement tant les carrières sont difficiles et cela plus que jamais.
De constater que M, Jon Kimura Parker a su tirer son épingle du jeu pour jouer encore et qu’il fait office de professeur à Houston me soulage. Ce ne sont pas tous les virtuoses qui, comme Louis Lortie, ont signé plusieurs fois, en concert des intégrales complètes de toutes les oeuvres pour piano de Mozart, de Beethoven, de Liszt, de Ravel, enfin de Chopin, s’attaquant même désormais à Scriabine et le gigantesque quoique méconnu Gabriel Fauré…le tout en bien plus de cinquante enregistrements chez CHANDOS faisant référence d’étalon de mesure en matière d’interprétation remarquable. Je suis rempli d’une admiration infinie pour tous ces musiciens énumérés plus haut, par bonheur venus jouer et chanter au LMMC. La visite prochaine d’André Laplante en récital au LMMC marquera encore ma réflexion philosophique à propos de la persévérance héroïque des musiciens d’immense talent comme le sien. Un médaillé d’argent au Concours Tchaïkovsky c’est un haut fait, mais bien plus encore la poétique ferveur d’une âme émouvante dans tout ce qu’elle cisèle et embrasse avec force mais aussi avec délicatesse.
Photo Credit: Shayne Gray