SLAV, une année de bruit et de silence
Peu importe de quel côté on a pu se ranger pendant la controverse entourant le spectacle SLAV, force est d’admettre qu’elle aura au moins eu pour effet de susciter au Québec une réflexion nécessaire qui s’imposait depuis longtemps. Malheureusement, comme c’est souvent le cas chez nous, les débats sociétaux d’importance ont parfois tendance à se transformer en dialogue de sourds, dans le cadre duquel le discours s’embrouille et ne devient qu’un empilage d’idées et d’opinions où règnent le bruit et la confusion.
Au cours de la dernière année, on m’a souvent reproché de ne pas m’être assez exprimé sur le sujet et, surtout, de ne pas m’être prêté au jeu des médias. Mais il me semblait que pour émettre une opinion, il me fallait être capable de l’articuler. Je dois avouer que même aujourd’hui, bien qu’elle ait évolué, ma position est encore loin d’être claire. C’est pourquoi il m’apparaissait plus sage de garder le silence que d’ajouter ma voix à la cacophonie générale.
J’avais le sentiment que la durée d’une entrevue accordée à un journal télévisé ou dans le cadre d’une tribune radiophonique est toujours insuffisante pour traiter d’une question délicate comme l’appropriation culturelle, à laquelle s’ajoutent, dans le cas de SLAV, les enjeux non moins complexes de la représentativité sur scène des minorités et de la décolonisation des arts. Mais je savais bien qu’en choisissant de me taire, je prenais le risque que d’autres parlent à ma place et que les arguments de mes défenseurs ne soient pas toujours en phase avec mes opinions.
Ce débat a soulevé en moi beaucoup plus de questions qu’il ne m’a fourni de réponses, et j’aurais bien aimé pouvoir m’adresser à mes détracteurs directement, en dehors de l’espace public, sans avoir à passer par l’habituel arbitrage des médias électroniques et des lignes éditoriales de la presse écrite.
À la fin de l’automne, après plusieurs mois d’hésitation et de scepticisme, j’acceptais l’invitation du groupe « SlAv Résistance » à aller les rencontrer en personne. Prenant mon courage à deux mains, je me rendais dans un lieu déterminé à leur convenance, résolu à me faire embrocher et à rôtir à feu vif. Mais, contrairement aux irascibles militants d’extrême gauche dépeints par certains médias, j’étais accueilli par des gens qui faisaient preuve d’une grande ouverture et qui se sont avérés très sensibles, intelligents, cultivés, articulés et pacifiques. Prévenu à tort par quelques personnes que j’allais probablement avoir affaire à une bande d’« anglos radicalisés de l’Université Concordia », tout mon argumentaire avait été préparé en anglais. Mais quand j’ai compris que la grande majorité d’entre eux étaient francophones et que la discussion allait se dérouler principalement dans la langue de Molière, je dois avouer que je me suis retrouvé démuni et balbutiant.
Étaient présentes une quinzaine de personnes afrodescendantes, dont Lucas Charlie Rose et Ricardo Lamour. Ces personnes étaient pour la plupart des artistes ou actrices de changement dans leurs communautés, et se trouvaient rassemblées autour d’un même engagement social qui, au cours de l’été, semblait les avoir beaucoup éprouvées. Malgré le fait que leur geste de contestation ait eu pour effet de faire retirer notre spectacle de l’affiche du Festival international de Jazz de Montréal, leur attitude était loin d’être triomphante et leur prise de parole leur avait valu d’être démonisées par l’opinion générale. Leurs interventions devant le Théâtre du Nouveau Monde avaient généré un emportement qu’elles n’avaient pas soupçonné. Elles affirmaient être désormais associées à une violence qu’elles n’avaient jamais souhaitée et dont elles n’étaient pas responsables. Certaines d’entre elles avaient même perdu leur emploi, tandis que d’autres avaient vu s’évanouir de précieuses collaborations. Continuellement harcelées et insultées par des groupes d’extrême droite, certaines avaient même été la cible de menaces de mort. Et tout comme moi, toutes ces personnes avaient perdu des amis.
Durant la rencontre, notre premier constat était aussi frappant que désarmant; nous ne ressemblions, ni d’un côté ni de l’autre, aux portraits que l’opinion générale et les médias avaient faits de nous. Malgré nos divergences d’opinions, nous rencontrer plus tôt aurait eu pour effet de mieux nous comprendre, tout en s’évitant bien des égratignures.
Dans ce climat d’ouverture et de transparence, il était plus facile pour moi d’admettre mes maladresses et mes manques de jugement et de tenter d’expliquer le bien-fondé de notre démarche. Il m’était également important d’admettre que la version de SLAV que nous avions présentée en juin dernier était loin d’être aboutie et que ce n’était peut-être pas par hasard que les problèmes dramaturgiques dont souffrait le spectacle correspondaient exactement aux problèmes éthiques qu’on lui reprochait. Si nous avions pu jouer plus longtemps, nous aurions sûrement pu faire mieux, mais bon… D’ailleurs, j’aimerais mentionner ici que depuis juin dernier, le contenu de SLAV a été soumis à une réécriture et à une révision complète de son contenu.
Pendant les quatre heures de notre discussion, parsemée de témoignages émouvants et de nombreux éclats de rire, nous nous sommes écoutés attentivement, dans un respect mutuel. Nous en sommes arrivés à la conclusion que, bien que nous n’allions pas résoudre tous les tenants et aboutissants des problèmes liés à la question de l’appropriation culturelle, une ouverture au dialogue venait de s’opérer.
À la fin de la rencontre, il m’est apparu évident que, de tous ceux présents à cette rencontre, j’étais le seul qui ait la visibilité, le pouvoir et les moyens de poser les premiers gestes réparateurs.
J’ai donc senti l’importance de me commettre sur certains engagements afin de continuer à faire évoluer notre réflexion. D’abord, inviter l’un ou l’une d’entre eux à venir assister aux répétitions de SLAV avant sa reprise en janvier afin de témoigner des nombreux changements apportés au spectacle. De plus, leur offrir une tribune afin d’échanger avec le public et les artistes à la suite de certaines représentations. Enfin, opérer des changements structurants à l’intérieur même de l’organisation Ex Machina et assurer une représentation significative de la communauté afrodescendante de Québec au sein de la programmation du futur Diamant.
En ce début d’année, je me propose d’essayer de faire mieux. Mais il est évident que ces résolutions n’arriveront jamais à satisfaire tout le monde. Elles me semblent tout de même être quelques pas dans la bonne direction afin de signifier qu’à travers tout ce vacarme, il nous est possible de dialoguer calmement.
Robert Lepage
Metteur en scène
Note aux médias : Ex Machina et Robert Lepage n’émettront pas d’autres commentaires.
SLAV: A Year of Noise and Silence
No matter what side you took in the debate about SLAV, you have to admit that it at least prompted some long-needed reflection in the province of Quebec. Unfortunately, as it often happens here in Quebec, important social debates sometimes end up leading to a situation where everyone’s talking and nobody’s listening. The discourse gets muddied, becoming just a heap of ideas and opinions overrun by noise and confusion.
Over the last year, people have criticized me often for not having spoken out enough on the subject and especially for not having played the media’s game. But in order to express an opinion, I needed to be able to articulate it. Even now, I have to admit that though my opinion has evolved, my position is far from being clear. That’s why I felt it was wiser to stay quiet instead of adding my voice to the cacophony.
The length of an interview on a television newscast or radio show seemed insufficient to tackle a sensitive subject like cultural appropriation, which, in the case of SLAV, is tied to equally complicated issues of minority representation onstage and the decolonization of the arts. Yet I knew that by choosing to keep silent, I was taking a risk that others would speak in my place and that my defenders’ arguments wouldn’t necessarily always align with my opinions.
This debate brought up more questions for me than answers, and I would have liked to have been able to address my critics directly, outside the public arena, without having to pass through the usual arbitration of electronic media and the editorial comments of print media.
Toward the end of autumn, after several months of hesitation and skepticism, I accepted the SLAV Resistance Collective’s invitation to talk with them in person. Mustering my courage, I made my way to the meeting place they had suggested, fully expecting to get raked over the coals. But, unlike the angry far-left extremists depicted in certain media, the people I met with were welcoming, open, perceptive, intelligent, cultivated, articulate and peaceful. Wrongly warned by several people that I’d probably be meeting with a group of “radical anglophones from Concordia University,” I had prepared all my thoughts in English. When I realized that the majority of them were francophone and that the discussion would mostly be in French, I was destabilized and felt as if I were fumbling for words.
There were about 15 people of African descent at the meeting, including Lucas Charlie Rose and Ricardo Lamour. Most of them were artists or community activists who had come together because of their social responsiveness, which had, over the course of the summer, significantly tested them. Even though their protests had led to our show being pulled from the Festival international de Jazz de Montréal’s programme, their attitude was far from triumphant. Their speaking out had resulted in them being demonized by the general public. Their actions in front of the Théâtre du Nouveau Monde had created a reaction that they hadn’t expected. They shared their experiences of being associated since then with violence that they had never wanted and for which they weren’t responsible. Some of them had even lost their jobs, while others had seen precious collaborations crumble. Continually harassed and insulted by far-right groups, several had even received death threats. And, like me, all of them had lost friends.
Our first realization was as shocking as it was disarming: none of us were like the portraits the media had painted of us. Even with our differences of opinion, meeting each other sooner would have helped us better understand each other as well as avoid a whole lot of conflict.
In this environment of openness and transparency, it was easier for me to acknowledge my clumsiness and misjudgements and to try to explain the merits of our process. It was also equally important to admit that the version of SLAV that we were presenting last June was far from finished and that perhaps it wasn’t by chance that the show’s dramaturgical problems corresponded exactly to the ethical problems the show was criticized for. If the show had run longer, we surely could have done better, but well…. By the way, I’d like to mention that, since last June, the content of SLAV has been reworked and rewritten.
During our four-hour discussion—sprinkled with moving statements and numerous bursts of laughter—we listened attentively to each other with mutual respect. We came to the conclusion that although we weren’t going to solve everything related to cultural appropriation, we had opened up a dialogue.
At the end of the meeting, I realized that I was the only one present who had the visibility, power and means to take the first action steps to work toward healing.
To continue deepening our reflection, I felt it was important to commit to certain actions. The first step is to invite a member of the group to come to rehearsals of SLAV to see the numerous changes before the show is remounted in January. The second is to offer the group a time to exchange with the public and artists following certain performances. The next step is to make internal structural changes within the organization of Ex Machina and to ensure a significant representation of people of African descent from Quebec City in the programming of the future Diamant.
As this new year begins, I resolve to do better. Of course, these commitments won’t make everyone happy, but, even so, they seem to be several steps in the right direction of coming together to dialogue calmly across all the noise.
Robert Lepage
Stage Director
Note to media outlets: Ex Machina and Robert Lepage will not be providing any further comments.