La passion et la haine habitent, du début à la fin, les personnages de l’adaptation théâtrale du roman de Larry Tremblay, Tableau final de l’amour. L’intense Benoît McGinnis y incarne le peintre Francis Bacon dans sa quête artistique tourmentée, ainsi que dans sa relation tumultueuse avec son amant George Dyer. Ce dernier renaît sous les traits de Samuël Côté, silencieux et inquiétant. Le jeu très physique des comédiens, dirigés par Angela Konrad, frôle le combat à travers des scènes où s’immisce pourtant la lumière et même la musique de Mozart.
D’entrée de jeu, on projette sur un grand écran, à l’avant-scène, l’image de ce qui semble être l’atelier de Bacon, dans un grand désordre. Il faut savoir qu’à l’époque où le peintre s’est installé à Londres, dans les années 1960, il travaillait dans une pièce qu’il ne nettoyait jamais et qui s’encombrait de tubes de peinture et de livres, revues, journaux et photographies dont il s’inspirait. Après cette mise en situation succincte, l’écran se soulève, dévoilant la scène où Dyer apparaît complètement nu.
On apprendra que le jeune homme s’était introduit chez l’artiste pour le cambrioler. Excité par la violence de l’intrus, le peintre avait immédiatement succombé à une passion dévorante envers le cambrioleur qui était devenu son modèle pour de nombreuses toiles.
Les faits saillants de l’histoire sont parfois racontés par les voix préenregistrées des deux protagonistes. À quelques occasions, les acteurs chuchotent certaines phrases synchronisées avec l’enregistrement de leurs voix.
Pareil procédé en fera sourciller plusieurs qui se demanderont pourquoi on ne pas laisse pas les comédiens livrer tout le texte, en direct, avec l’émotion du moment. Discutable. On peut sans doute aussi percevoir ce mélange de voix virtuelles et réelles comme une illustration de l’imaginaire qui se confond avec la réalité, dans l’univers de cet artiste radical, obsédé par le corps et sa représentation.
Parmi les autres aspects du spectacle qui soulèvent des questions, notons que l’écran situé à l’avant-scène monte et descend bruyamment et un peu trop souvent, ce qui finit par être lassant. Enfin, on apprécierait quelques précisions sur les images projetées durant le spectacle. Même si on ne fournit plus de programme, il ne faut pas s’imaginer que le public connaît tout de la vie de Francis Bacon, né à Dublin en 1909 et décédé à Madrid, il y a plus de 30 ans déjà!
Un fils «défectueux»
Cela dit, on oublie ces quelques bémols, aspirés par la tragédie humaine qui se joue devant nous, à travers deux amants qui semblent condamnés à se déchirer. Ce peintre qui a besoin de cruauté, McGinnis l’incarne de tout son être, à travers des gestes crispés et la bouche déformée au moment d’évoquer ses pulsions sexuelles.
Après avoir vécu une enfance difficile, auprès d’un père qui le qualifiait de «défectueux», cet écorché est devenu, lui aussi, capable de férocité. Il est, entre autres, méprisant envers Dyer, un homme de peu de mots. Bacon ne réalisera que trop tard la profondeur de leur amour.
Pour l’heure, le peintre s’apprête à vivre sa première rétrospective à Paris, en 1971 et il est bien loin de se préoccuper des états d’âme de son amant qui va se suicider dans leur chambre d’hôtel. Plus encore, Bacon va manœuvrer pour qu’on n’ébruite pas la nouvelle, par crainte que cela ne vienne assombrir son moment de gloire dans la capitale française.
La solitude et le deuil
Cette scène charnière a inspiré à Larry Tremblay une bouleversante réflexion sur le deuil que McGinnis nous transmet avec une sensibilité à fleur de peau. Désormais seul, le peintre égocentrique est hanté par tout ce qu’il n’a pas su donner à son amoureux. Du même souffle, il accuse sa mémoire d’être «injuste», en faisant passer au second plan les travers de cet amant violent. C’est dans ce douloureux esseulement que se termine le tragique Tableau final de l’amour. Soyez prévenus: on n’en sort pas indemne!
Tableau final de l’amour
Texte: Larry Tremblay
Mise en scène: Angela Konrad
Distribution: Benoit McGinnis, Samuël Côté
Les représentations offertes dans le cadre du Festival TransAmériques affichent complet mais la pièce sera de nouveau présentée à l’Usine C, en septembre. Les billets sont déjà en vente. Détails.