Il m’est douloureux en tant qu’enseignant de voir une pièce aussi tonitruante et révoltée que celle intitulée Des Promesses, des Promesses de Douglas Maxwell présentée du 20 mars au 6 avril 2018 au Théâtre de La Licorne sans penser tout de suite que le milieu scolaire est avant tout un système carcéral qui ne fait que punir sans rarement faire sourdre la joie d’apprendre par le culte de la beauté, du bien, du bon.
À examiner de près ces boites de brique, de pierres, de murs, de zones avec ces entrées réservés ou interdites, on y purge de toutes parts des peines diverses. La durée du bagne varie d’un temps de six ans ici pour la petite enfance, cinq ans là pour la puberté et l’adolescence, trois ans ensuite à se décider pour un métier ou une profession et enfin quatre à six ans d’université. Mais pour les enseignants, la durée de la sentence est au moins de trente-cinq (35) ans additionnels. Vu d’en haut, il y a des gardiens, des surveillances, des instructions pas toujours directes mais surtout on y enferme surtout des coeurs et des sensibilités certaines encore pures d’autres déjà traumatisées. En définitive, chacun admettra que c’est là, à l’école, de tout niveau, que commence la socialisation entre petits êtres humains rencontrant parfois quelque grand pédagogue les marquant pour la vie. Très souvent cependant, aucun pédagogue du tout, plusieurs maternantes notables en ce qu’ils ou elles dégoûtent fatalement de l’école, au final une multitude de garçons qui abandonnent, car bien plus vulnérables que les filles qui ont une plus solide émotivité et une grande souplesse d’adaptation.
La pièce, présentée en reprise de La Manufacture à La Licorne cette fois-ci, fait valoir le drame d’une jeune enfant de six ans atteinte de mutisme et qu’une enseignante à la retraite se voit confiée puisqu’on vient la convaincre chez elle de retourner en classe sauver du monde (comme si ça se pouvait). L’enseignante qui accepte de retourner en classe quelque temps ne se doute pas qu’il y aura là, cette ultime fois, dans cette école un drame sérieux à élucider ou réactiver: les grands acteurs de tout sauvetage scolaire sont toujours des enseignant(e)s chevronné(e)s en lutte contre des directions ou directions adjointes presque systématiquement à courte vue qui s’ingèrent cavalièrement dans les classes, une à une, en minant l’autorité professorale, en empoisonnant l’existence des vrais responsables du miracle, les enseignant(e)s titulaires (poussé(e)s presque toutes et tous à l’épuisement en fin de carrière et à l’invalidité). La pièce parle ainsi de cette peste de nos écoles tout comme Normand Baillargeon en résume bien l’essentiel à retenir dans ses livres et ses articles savoureux: l’école actuelle en Occident est dans une situation de marasme qui est au mieux un pis aller de garderie (en effet, je n’ai jamais compris ni pourquoi ni comment des parents le moindrement lucides ne préféreraient pas l’apprentissage à la maison pour voir grandir au quotidien leurs trésors plutôt que de les abandonner à la puériculture publique ou même privée vu l’étroitesse d’esprit des réformes ministérielles décapitant l’apprentissage par les arts et dénigrant toutes les têtes qui dépassent au-dessus de la mêlée.) Dans une province aux garderies coûteuses, l’objection est encore plus acerbe.
L’actrice Micheline Bernard nous montre en une heure trente de brillants soliloques rapportant des faits de conflits culturels et éthiques dans sa situation de classe (théâtralisée par cette enfant somalienne), donc dans son école putative et avec une autre direction incompétente (comme tant d’autres au point qu’il faudrait les abolir tout simplement), l’actrice évoque avec une faconde diluvienne notamment l’exorcisme atrocement permis d’une petite fille africaine dont on aurait provoqué le mutisme en mutilant ses organes génitaux. Un prêtre gouailleur est en cause : l’enseignante le confronte et le mâle trop confiant en lui-même tente de se défendre mais il ressuscite en l’enseignante toutes les détresses qu’elle a éprouvées, elle et sa soeur, durant l’enfance religieuse que des hommes autour d’elles contrôlaient cyniquement comme les consciences d’ailleurs. Lorena Bobbit (pour ceux qui s’en souviennent) retrouve dans l’enseignante ici, disciple à la main sûre sachant passer de la craie au scalpel.
Certes, l’école est un lieu de soumission et de diktats: des directeurs ou directrices forcent des enseignant(e)s à des tâches improductives ou des gâchis par travail obligé en équipe souffreteuse de pédagogite aiguë et avec tant d’aversion que l’enseignant ne voit sa liberté retrouvée que par l’entremise prématurée de la mise à la retraite anticipée. La pièce souligne comment toute indépendance de pensée apporte des réprimandes ou comment on menace les enseignant en les intimidant ou en minant leur autorité ou leur valeur (on cherche dans leur passé des faiblesses mentales et on leur impute un blâme disqualifiant). La force de la pièce de Douglas Maxwell traduite en français par Maryse Warda est de montrer que seuls les enseignant(e)s chevronnés ont une vision courageuse et claire de la tragédie particulière des mômes qu’on y dépose : ce sont effectivement les enfants de parents débordés qui comptent sur ces enseignant(e)s pour les défendre , surtout affermir le langage, structurer la pensée et développer la sensibilité et l’intellect. Les enseignants agissent comme substituts parentaux et ici comme vengeresses justicières. Il y a une grande part d’idéalisation ici car du fait divers à la solution de la loi du Talion, c’est à ce jour encore du jamais vu.
Dans la pièce Des promesses, des Promesses, Micheline Bernard campe donc une enseignante qui se fera justicière au point de se venger et d’amputer ou mutiler un mâle abusif. En clôture, elle racontera avoir accepté le verdict du bagne. Ainsi la pièce fait étalage des coupables et de ceux qui doivent être vengés, mais la peine entière est portée en blâme et conscience par l’enseignante seule aux bien trop larges épaules.
Production La Manufacture
Texte Douglas Maxwell
Traduction Maryse Warda
Mise en scène Denis Bernard
Assistance à la mise en scène Dominique Cuerrier
Avec Micheline Bernard
Décor et costumes Marc Senécal Éclairages Claude Cournoyer Musique Jean Gaudreau
Durée du spectacle: 1h30 sans entracte
Nouvelle série de représentations du 11 au 22 mars 2019
Photo © Suzane O’Neill