Ceux qui ont vu la pièce de Michel Tremblay, Messe solennelle pour une pleine lune d’été, chez Duceppe en 1996, ne l’ont sans doute pas oubliée. Entre autres, Michel Dumont et Jean-Louis Millette y dansaient ensemble un tango, dans une scène dont on parle encore aujourd’hui! Plus d’un quart de siècle plus tard, les onze personnages de cette Messe refont surface et, cette fois-ci, ils chantent leurs peurs et leurs aspirations devant la pleine lune d’été, symbole de la lumière éternelle. Lyne Fortin et Dominique Côté, entre autres, sont de la distribution de cet opéra, mis en scène par Alain Zouvi. Ils seront accompagnés des Violons du Roy pour interpréter la partition de Christian Thomas.
Entrevue avec ce compositeur québécois qui roule sa bosse depuis plus de trente ans.
Christian Thomas a composé, entre autres, de nombreuses musiques de scène dont celle de la pièce de Michel Tremblay, Enfant Insignifiant!, présentée avec Guylaine Tremblay chez Duceppe, en 2017. À la suite de cette collaboration, le musicien propose au dramaturge de créer un opéra à partir de son roman Le Trou dans le mur. Tremblay l’invite plutôt à mettre en musique Messe solennelle dont les chœurs et les solos s’apparentent à une «liturgie dramatique», selon le compositeur.
L’action se déroule pendant une chaude soirée de pleine lune, au mois d’août, sur le Plateau Mont-Royal. Une sorte de cérémonie se prépare. Des êtres vont parler, crier, hurler, pour alléger le trop-plein de leurs âmes.
Le sacré et le profane se mélangent, entre messe et exorcisme. «Les personnages blasphèment devant la lune qui devient une sorte d’exutoire! Mais l’émergence de leurs sentiments ne s’arrête pas là. S’ils ont peur de se perdre dans l’enfer de l’amertume et de la méchanceté, de la violence, de l’indifférence et du dédain, ils aspirent tous à une libération d’eux-mêmes», résume Christian Thomas.
«J’ai adapté le texte et je l’ai écourté, de sorte que le spectacle va durer environ une heure 40 sans entracte. Michel m’a donné carte blanche. J’ai inversé certains passages. Il y a aussi des moments où plusieurs personnages expriment simultanément des choses différentes. J’ai donc organisé ce chaos en musique.»
Et puis, contrairement à de nombreux opéras, dont Madama Butterfly, Le Barbier de Séville, etc., axés sur une héroïne ou un héros, les personnages de cette Messe «sont à peu près d’égale importance. Il y a donc plusieurs arias. En fait, je suis profondément mélodique dans mon approche mais, je flirte avec des tonalités actuelles. Je suis contemporain dans l’âme! Ça signifie, entre autres, que durant les mélodies, on peut s’arrêter sur des harmonies particulières. Il y a aussi des thèmes qui reviennent. La musique doit faire corps avec le texte! Je veux toucher les gens, si non, c’est pas la peine d’écrire de la musique!»
Dans cette Messe hors du commun, on retrouve cinq figures du couple dont celui qu’incarnaient Dumont et Millette. Cette fois-ci, Dominique Côté et Dominic Lorange danseront à leur tour un intense tango durant lequel on entendra l’orgue Casavant de la salle Raoul-Jobin.
Lyne Fortin se glisse dans la peau de la veuve. Le compositeur lui a d’ailleurs écrit un poignant lacrimosa. Après une introduction langoureuse au violoncelle, la soprano très en voix exprime les états d’âme de son personnage sur une grande mélodie accompagnée, entre autres, d’accords de violons parfois saccadés. Alors que ses derniers mots sont «À jamais», le compositeur crée un saisissant effet d’apesanteur en laissant la voix seule sans orchestre durant quelques mesures.
Cette pièce dont j’ai pu écouter un enregistrement est d’une grande beauté et elle donne le goût de découvrir le tout premier opéra de Christian Thomas. «Messe solennelle n’est pas qu’un long largo!, ajoute l’orchestrateur et arrangeur. Il y a des mouvements plus légers, plus rapides ainsi que des allegros et tout est chanté!»
Une première pour Alain Zouvi
L’opéra Messe solennelle pour une pleine lune d’été revêt une signification particulière pour Alain Zouvi qui en signe la mise en scène. Durant sa longue et prolifique carrière, il n’avait encore jamais été invité à travailler un texte de Tremblay.
«C’est comme si on ne croyait pas que je puisse mettre en scène une oeuvre écrite en québécois! Est-ce parce que mon père était français?», s’interroge le fils des comédiens Jacques Zouvi et Amulette Garneau.
«Quand on m’a approché pour la Messe, je tenais à ce que Tremblay soit d’accord! J’ai eu sa bénédiction et j’en suis très heureux!»
Le metteur en scène qu’on associe à des pièces comiques comme Le Placard de Francis Veber qu’il monte, cet été, au Théâtre de Rougemont, s’y connaît aussi en théâtre musical. Zouvi collabore depuis plusieurs années avec L’Opéra bouffe du Québec (OBQ), où il a notamment mis en scène l’opérette La belle de Cadix, de Francis Lopez, à la Maison des arts de Laval, à l’automne 2022.
Évidemment, la Messe solennelle est dans un tout autre registre! «Bien sûr, il n’y a pas de rebondissements comme dans un Feydeau! Les personnages ne sont pas dans l’action; ils se remémorent des choses. Mais, ce n’est pas statique pour autant car, émotivement, ils sont en ébullition!»