August Strindberg n’est pas un auteur que l’on peut cerner facilement. Génie, précurseur, mais aussi – et surtout – misogyne et égoïste, ses textes s’en ressentent. Une écriture riche, élaborée qui va de pair avec sa vie, chaotique et troublée. Ses actes irrévérencieux et ses attitudes cruelles envers les femmes ont inspiré la metteure en scène, Luce Pelletier. Par la plume de neuf autrices québécoises, elle déboulonne les valeurs de l’écrivain. Par la grâce de trois comédiennes, elle castre ses convictions.
C’est un texte difficile. Entrée en matière, certes un peu abrupte, mais qui présente tellement bien Strindberg. Cet homme perturbé est l’enjeu de toutes les contradictions. Luce Pelletier elle-même le dit : « Misogyne soit, mais génie également, non ?». Pour mieux le connaître et nous le faire connaître, elle a choisi de donner la parole à ces trois ex-épouses : la proie, la curiosité et l’obsession, campées par les solides Isabelle Blais, Marie-Pier Labrecque et Lauriane S. Thibodeau. Le propos de la pièce est audacieux : répondre, se révolter, envoyer paître le grand écrivain, alors qu’il est à l’article de la mort.
Neuf autrices ont été approchées pour écrire l’argumentaire des épouses. Le ton, les mots, le langage d’aujourd’hui tranchent avec le verbeux plaidoyer de l’homme. Ses femmes n’ont pas de pitié, ou du moins, elles n’en ont plus.
C’est ce qui est particulièrement surprenant : ces femmes ont toutes voué un culte inimaginable à celui qui les a rabaissé aussi bas que son mal de vivre. Certes, elles voulaient être reconnues, faire leur place, mais elles n’ont servi qu’à entretenir Strindberg dans son refus du changement : marxisme, féminisme et psychanalyse. Sa logique n’était pas prête à cela.
Dans le rôle du vieux Strindberg, on retrouve un habitué des prestations complexes. Jean-François Casabonne nous livre une performance possédée et kafkaïenne, qui rend justice à l’âme perturbée. Christophe Baril, le jeune Strindberg, amène un jeu sensible et doucement fou, qui explique et explore le caractère sombre du personnage.
Si le jeu est à la hauteur du défi, d’autres choix artistiques créent une distance pourtant déjà bien grande entre le public et l’œuvre. Peu de bruit, pas de musique, pas de décor, des personnages droits, une ambiance froide et austère… aucune chance n’est donnée pour rendre l’ensemble accessible, ou du moins… un poil plus proche.
En dépit du mélange entre lettres anciennes de Strindberg et réponses modernes de ses trois femmes, le rythme est monotone. La fraîcheur de Lauriane S. Thibodeau et le je-m’en-foutisme de son personnage, confèrent au dernier tiers de la pièce un regain d’énergie et d’intérêt.
Une dichotomie entre le jeu et la scénographie qui aurait pu amplifier la complexité du personnage, mais laisse un goût d’inachevé.
Crédit photo : Olivier Hardy
Durée du spectacle : 1h40 sans entracte
Strindberg est présenté à L’Espace Go jusqu’au 12 mai.
Texte : Anaïs Barbeau-Lavalette + Rachel Graton + Véronique Grenier + Emmanuelle Jimenez + Suzanne Lebeau + Catherine Léger + Marie Louise B. Mumbu + Anne-Marie Olivier + August Strindberg + Jennifer Tremblay
Mise en scène : Luce Pelletier
Distribution : Christophe Baril + Isabelle Blais + Jean-François Casabonne + Marie-Pier Labrecque + Lauriane S. Thibodeau






























































