Caroline Guiela Nguyen nous offre avec Lacrima une exploration captivante et profondément humaine des liens insoupçonnés qui unissent le monde de la haute couture.
À travers le destin d’une seule robe, le spectacle tisse une toile délicate entre une maison parisienne, un atelier de broderie à Mumbai et les dentellières d’Alençon, nous plongeant au cœur d’un processus créatif qui, derrière son faste, révèle des vérités poignantes.
Dès les premières minutes, Lacrima nous happe avec une intensité émotionnelle rare.
Marion Nicolas, jouée par la magnifique Maud Le Grevellec, première d’atelier de la maison de haute-couture Beliana (Paris 1er), est en plein appel Zoom avec sa médecin, dont l’inquiétude est palpable.
Dans un état second, la couturière révèle une extrême fébrilité et finit par avouer avoir « fait ce qu’il fallait faire » – sous-entendu, avaler des cachets pour mettre fin à ses jours.
Au moment où les pompiers, alertés par la médecin, arrivent pour lui porter secours, le temps s’arrête et l’action remonte huit mois plus tôt, au printemps 2025, soit « 4688 heures de travail avant la tragédie ».
Cette tragédie devient le fil conducteur d’une histoire qui remonte le temps, nous invitant à comprendre les 4688 heures de travail acharné précédant un événement bouleversant: une prestigieuse maison de couture reçoit une commande royale : la création de la future robe de mariée de la princesse d’Angleterre.
Durant des mois, et dans le plus grand secret, couturières, modélistes, premières d’ateliers et brodeurs s’activent entre Paris, Alençon et Mumbai, jusqu’à ce que leurs vies basculent.
L’excellence et le luxe de la confection, fruits de la minutie des « petites mains » de Paris, Mumbai et Alençon, dissimulent en réalité la souffrance du personnel et la pression d’une préparation confidentielle.
La mise en scène est un véritable tour de force. Grâce au travail vidéo ingénieux de Jérémie Scheidler, les gros plans se multiplient, nous immergeant avec une clarté remarquable dans les réunions Zoom entre Paris, Alençon et Mumbai.
Cette fluidité visuelle, presque cinématographique, permet une circulation limpide entre les lieux et les époques, les comédiens changeant de rôle avec une aisance déconcertante. Nous sommes transportés au cœur des ateliers, puis au milieu des interactions à distance, percevant la profondeur humaine qui confère toute sa résonance à cet univers théâtral.
Le génie de Caroline Guiela Nguyen réside dans sa capacité à exposer des dilemmes complexes sans jamais tomber dans le jugement ou le moralisme. Elle offre aux spectateurs une liberté d’interprétation totale, les invitant à réfléchir sur les contradictions inhérentes au monde de la mode, où les normes éthiques affichées contrastent souvent avec la réalité du travail sous-payé et non reconnu.
Les interprètes de Lacrima, professionnels et amateurs, s’exprimant en français, anglais, tamoul ou en langue des signes française, nous touchent au plus profond. Avec une authenticité bouleversante, ils donnent corps aux failles de nos propres emprisonnements.
Lacrima est une expérience théâtrale qui interroge, émeut et résonne longtemps après que les lumières de la scène se soient éteintes. Caroline Guiela Nguyen, en véritable orfèvre de l’émotion, nous livre une œuvre puissante qui met en lumière les récits oubliés et les corps absents de nos scènes.
https://fta.ca/fr/programmation/lacrima
Théâtre Duceppe
Durée : 2h55































































