Avec «Hamilton», Lin-Manuel Miranda a bouleversé la comédie musicale en lui insufflant une énergie nouvelle. Récompensée par 11 Tony Awards, un Grammy et un Prix Pulitzer, l’œuvre est devenue un incontournable mondial. La production de tournée présentée à la Place des Arts jusqu’au 7 septembre a tenu toutes ses promesses : des interprètes remarquables, une scénographie qui rend fluide une histoire complexe mais véridique, des chorégraphies modernes et une mise en scène d’une inventivité éclatante.
«Hamilton» raconte l’ascension de l’un des Pères fondateurs des États-Unis, Alexander Hamilton. On suit son parcours d’immigrant ambitieux devenu proche de George Washington, architecte du système financier américain, mais aussi pris par ses erreurs personnelles. L’histoire américaine d’époque est revisitée dans un langage et des musiques modernes comme le rap, hip-hop, jazz et R&B.
Avec près de 20 000 mots en 2h30, Hamilton est l’une des comédies musicales les plus denses jamais écrites. Parfois chanté à plus de 160 mots par minute, le récit historique complexe est souvent difficile à saisir, même si on comprend bien l’anglais.
«Hamilton» se distingue par une richesse et une énergie remarquables. On pourrait même parler de poésie : tout le texte, en rimes, est récité en rap ou chanté, et de nombreux clins d’œil font sourire le public, comme la célèbre phrase «Immigrants, we get the job done».

Dans le rôle-titre (Hamilton), Tyler Fauntleroy se révèle parfait du début à la fin. Sa voix, tour à tour incisive dans le rap et nuancée dans les mélodies, captive à chaque instant, tandis que son aisance dans la danse confirment une maîtrise complète du personnage.
A.D. Weaver, dans le rôle de George Washington, impressionne par son charisme à chacune de ses apparitions, mais surtout par la profondeur de sa voix. Son timbre puissant et sa grande amplitude donnent toute sa force à «One Last Time», dont l’interprétation est tout simplement saisissante.
Les rôles principaux féminins, incarnant trois sœurs, sont interprétés avec une intensité remarquable. Chacune possède une voix puissante et juste, et leur présence scénique impose le respect. Leurs numéros apportent une touche d’humanité et d’émotion qui enrichit ce périple historique.

Lauren Mariasoosay interprète Eliza, l’épouse de Hamilton, avec une douceur touchante. Son belting est remarquable, notamment dans «Burn», où elle a reçu des applaudissements nourris du public.
L’aînée des sœurs, Angelica, interprétée par Marja Harmon, s’impose à chaque apparition. La puissance de sa voix, alliée à un timbre chaud et enveloppant, captive immédiatement le public et laisse une impression durable.
Lily Soto joue deux rôles : la cadette des sœurs (Peggy) puis Maria Reynolds, la maîtresse de Hamilton, au second acte. C’est avec «Say No to This» qu’elle s’impose vraiment, délivrant des notes en belting d’une intensité remarquable qui captivent le public.
Christian Magby endosse aussi deux rôles : Lafayette au premier acte et Thomas Jefferson au second. Dès l’ouverture du deuxième acte, il s’impose en véritable star de music-hall, mêlant charisme et exubérance dans «What’d I Miss», un numéro savamment orchestré entre jazz et boogie-woogie.
J’ai gardé le meilleur pour la fin : Matt Bittner illumine chacune de ses brèves apparitions dans le rôle du Roi George III. Il est applaudi dès sa première entrée sur scène, et son humour est renforcé par une musique parfaitement adaptée à son personnage. Quand le refrain arrive, c’est toute la salle qui se joint à lui, créant un moment de complicité joyeuse.
Les chorégraphies de Hamilton sont à la fois modernes et spectaculaires, donnant naissance à de nouveaux styles de mouvement. Même lorsqu’ils rappent, les interprètes traduisent leurs paroles par la danse. Le plateau tournant au centre de la scène permet des effets scéniques saisissants, particulièrement dans «Satisfied» et dans la chorégraphie militaire de «Yorktown», qui m’ont impressionné.
La scénographie et le décor, très soignés, permettent des transitions fluides entre les scènes. Les éclairages, tout aussi exceptionnels, contribuent largement à l’impact visuel du spectacle.
La musique de Lin-Manuel Miranda est un véritable petit chef-d’œuvre, mêlant rythmes complexes (comme dans «Wait for It»), rap mélodique et airs mémorables. Les chœurs impeccables se révèlent à l’écoute, notamment dans «The Room Where It Happens». L’excellent travail de sonorisation donne à l’ensemble une puissance sonore impressionnante.
La mise en scène d’une œuvre aussi complexe est exécutée avec une précision remarquable. Malgré le rythme rapide et la densité de l’histoire, des moments touchants émergent, comme «Stay Alive Reprise» à la mort du fils de Hamilton. Dans son ampleur et son panache, le spectacle évoque l’émotion et la grandeur qu’avait autrefois la comédie musicale «Les Misérables».
«Hamilton» est un grand spectacle : une œuvre à la fois complexe et d’une qualité exceptionnelle, même si son récit peut parfois sembler difficile à suivre. Son style musical très moderne risque de ne pas séduire tous les publics, mais voir «Hamilton» à Montréal reste une expérience incontournable qui laisse une impression durable.
Les bons coups: interprètes exceptionnels, chorégraphies, mise en scène, musique, scénographie et décors, éclairages, sonorisation, langage poétique
Les moins bons coups: complexité de l’histoire
Équipe de création
Tournée par Broadway across Canada et Evenko
Livret/Musique/Paroles: Lin-Manuel Miranda
Mise en scène: Thomas Kail
Chorégraphies: Andy Blankenbuehler
Direction musicale/Orchestrations: Alex Lacamoire
Décors: David Korins
Costumes: Paul Tazewell
Éclairages: Howell Binkley
Coiffures/Perruques: Charles G. LaPointe
Sonorisation: Nevin Steinberg
Distribution
Tyler Fauntleroy (Alexander Hamilton), Lauren Mariasoosay (Eliza Hamilton), Jimmie “JJ” Jeter (Aaron Burr), Marja Harmon (Angelica Schuyler), A.D. Weaver (George Washington), Christian Magby (Lafayette/Thomas Jefferson), Kai Thomani Tshikosi (Mulligan/Madison), Nathan Haydel (Laurens/Philip Hamilton), Lily Soto (Peggy Schuyler/Maria Reynolds), Matt Bittner (King George III), Auston Henderson, Alex Dorf, Will Jewett, Nathanael Hirst, Miriam Ali, Phillip Deceus, Alex dorf, Cyndal Gilmore, Sabrina Harrison, Auston Henderson, Nathanael Hirst, Will Jewett, Oshie Mellon, Aisha Sougou.
Salle Wilfrid-Pelletier (Place des Arts, 175 rue Ste-Catherine Ouest, Montréal)
Présenté en anglais du 19 août au 7 septembre 2025 à 19h30 (matinées à 13h le weekend).
Billets en vente (63$-278$) au https://www.placedesarts.com/evenement/hamilton
Durée: 2h50 avec entracte
Photos: Joan Marcus































































