Peut-être une dizaine de fois dans ma vie de sexagénaire ai-je connu une émotion semblable à celle que James Ehnes ceint de l’OSM avec ses brillants solistes de pupitre sous ce transcendant chef invité,Tomás Netopil, nous ont procurée!
Les veinards abonnés présents au concert du violoniste canadien James Ehnes en soirée du jeudi 25 septembre 2025 se sont justement écriés à l’unisson, d’un souffle d’extase absolue à trois reprises : au terme de l’ultime mouvement du richissime Concerto pour violon et orchestre en ré majeur du grand Johannes Brahms.
Ensuite à l’écoute inspirée du premier rappel soit la troisième sonate en ré mineur en un seul mouvement d’un violoniste belge légendaire, le défunt mais très engagé socialement Eugène Ysaÿe, chef-d’oeuvre rendu avec une déchirante perfection (À lire, la biographie d’Eugène Ysaye par Maxime Benoït-Janin, publiée chez Belfond, Paris, 1989, 293 pages).
Enfin, autre avalanche de hourra ! après le second rappel, soit le choix par James Ehnes du mouvement le plus bref, l’Adagio le plus concentré, d’expression ciselée en ce répertoire, une amorce commençant d’ailleurs deux des trois sonates existantes.
Ce second rappel était un spectacle en soi, soit celui de percevoir le degré d’écoute révérencieuse de tous les musiciens de l’orchestre : ces adagios des sonates pour violon (tel celui de la BWV 1001 et ici la BWV 1005) tout incarnait un intime soliloque pour violon de Jean-Sébastien Bach, calmant aussi judicieusement les vivats qui autrement n’en eurent jamais plus fini de le vénérer.
Extase garante d’une inavouable canonisation
Depuis toujours le monde musical a vénéré son lot de saints interprètes tels les violonistes David Oistrakh, Christian Ferras, plus près de nous ce raréfié Gil Shaham ou comme les violoncellistes Pablo Casals ou Yo Yo Ma, jadis les voix de Maria Callas ou José Carreras pour n’en nommer quelques-uns. James Ehnes fait partie de cette illustre empyrée de la musique.
L’Empyrée avec majuscule, c’est la partie du Ciel la plus élevée où séjournent les vrais Dieux élus par les foules vénérant la poésie et l’humain espoir de toute durable paix juste et civilisée.
Deux heures 25 minutes de musique
Comme autrefois, à l’époque de sa plus haute gloire — que l’OSM reconquiert de toute évidence à grands pas cette année — ce fut un concert substantiel béni de ces moments inoubliables dans toute vie de mélomane inspiré.
James Ehnes à son violon Stradivarius Marsick (1715), Albert Brouwer à la flûte, plus tard bien entendu Timothy Hutchins à la sienne (dans la subséquente symphonie de Dvorak), Vincent Boilard au hautbois, Stéphane Lévesque au basson, le radieux Ryan Toher à la clarinette, mais surtout le quatuor à cordes en entier qui applaudira cette mémorable prestation diamantaire: elle eût mérité qu’on l’enregistre en direct pour en faire un trésor universel de discothèque sous le bâton de ce chef à l’énergique magnitude d’un Wilhem Furtwangler en puissance.
Sous l’honorable oeil de Rafael Payare
Le chef titulaire de notre orchestre honorait d’ailleurs de sa présence, en loge, la prestation, peut-être unique dans notre histoire montréalaise : une interprétation absolument légendaire, du Concerto de violon de Brahms.
Chaque instant d’énonciation des idées musicales nous transportait vers cet ailleurs si élevé que le monde des réalités terrestres s’efface pour propulser l’âme vers un cosmos de félicité où nous envahit ce sentiment d’éternelle sérénité : le coeur ne bat plus car c’est l’âme qui s’insuffle de la danse et du chant jaillisant de l’instrument si parfait qu’un tel génie caresse de son archet.
Une symphonie de Dvorak vigoureuse
Les quatre mouvements de la sixième symphonie de Dvorak comportent chacun cette énergie du pays tchèque où les mélodies esquissent des paysages verdoyants et bucoliques.
L’Adagio berce tant qu’on peut s’y voir porter à fermer les yeux, au point de disparaître en des sommeils, nous faisant oublier que le Scherzo et le Finale valent la peine de ne pas quitter tout à fait tout de suite la Terre, pour avoir été déporté, par des musiciens de si haute qualité, toute une soirée, tous réunis là devant nous.
Même le début de la soirée avec une oeuvre contemporaine fort intéressante d’effets sonores et mélodieux, présentée en apéritif, ce Aino du jeune compositeur péruvien Jimmy Lopez, même cela agissait. L’œuvre est un poème symphonique d’une quinzaine de minutes qui disposait l’auditeur à rester aux aguets pour les perfections inoubliables qui surviendraient.
Cet émerveillement continu de 145 minutes musicales sera, en reprise, dès 14h30 le samedi 27 septembre et, devinez-quoi? Oui, je me serai procuré un billet au plus haut perché du balcon pour ré-entendre et revivre tout ça, le plus près possible du Ciel où je veux qu’on m’emporte à jamais : de telles pages musicales, si parfaitement rendues se métamorphosent en un onguent, qui fera indubitablement vivre l’âme et le corps bien au-delà de cent vingt ans.
Approchez-vous donc ainsi … de l’Éternité!
P.S. Je conseille à tous les étudiants en interprétation de nos conservatoires se dédiant au violon l’album en disque compact de James Ehnes de l’intégrale des Six Sonates pour violon seul opus 27, Étiquette Onyx, 2021.
Photos : Antoine Saito































































