N’étant pas allé à la Première du 27 septembre mais à la représentation de l’opéra Don Giovanni du mardi 30 septembre où la tension de la présence des nombreux critiques accourant entendre cette fort belle production était heureusement disparue, il se peut que je me trouve en profond décalage avec mes collègues face à la prestation de ce célébrissime opéra en langue italienne.
J’assume toujours assez bien ces divergences dont je n’ai jamais tout à fait conscience d’ailleurs, au fait avéré que je ne lis à toutes fins pratiques jamais leurs réserves ou éloges particuliers. Que je discoure toujours bien à part justifie que je me réjouisse qu’on puisse s’amuser à me lire pour le fantasque ou farfelu que je dois être parfois.
Une production de toute beauté visuelle
On ne saurait reprocher à cette production (de Stephen Lawless) quoi que ce soit au chapitre de ces décors de temples symboliques au culte de l’amour, ces arcades triomphales aux colonnes à chapiteaux composites .
Non plus peut-on sincèrement se plaindre de ces costumes somptueux, de ces effets de scène recherchés en dispositions spatiales ou visuelles, le tout parmi les lustres un tantinet pompeux éclairant ces suspenses d’apparitions savoureuses.
La scène initiale de ces huit femmes en émoi ou en larmes avançant péniblement (évidemment en coeurs blessés) en Ouverture sous l’accompagnement continûment fort acceptable des musiciens de l‘Orchestre d’I Musici sous le bâton de Kensho Watanabe qui rendait minimalement justice à l’irréprochable musique de Mozart, déjà tout cela flatte l’oeil et l’oreille d’un public montréalais qui n’a pas toujours eu sous les yeux une telle générosité dans la dépense.
Quand je parle de huit femmes au coeur blessé, il me revient cette chanson des années soixante dont les paroles allaient en tragi-comique un peu comme suit :
Refrain
Coeur blessé, torturé, par tout le mal que tu m’as fait
Au fond c’était perdu d′avance
Il ne reste aucune chance
Alors adieu, moi je m’en vais
J’ai le cœur blessé
À tout jamais
couplet
Il y a de quoi vous rendre fou
Quand on a tout perdu d′un coup
Adieu, je m′en vais le cœur gros
Il faut croire que c’était trop beau
Je m’arrête là de peur d’éclater de rire sur un sujet devenu tellement étalé en des extrêmes peu conformes aux années soixante et soixante-dix et fort distants à la perception nuancée de qui fut Mozart par quelqu’un de courageux comme le cinéaste assez décrié Milos Forman, par exemple, en son film contesté Amadeus.
De superbes voix en chaque rôle
Franchement, toutes les voix en chaque rôle furent superbement en forme et, au bout de presque trois heures de rires et de feintes tragiques obligées, bien entendu qu’une certaine fatigue vocale saura se faire entendre chez certain(e)s interprètes.
Et bien sûr que les agacements de telle ou telle voix qui enterre délibérément, jusqu’au chorus final, sans relâche celle de ses précédents interlocuteurs ou interlocutrices à telle scène mieux jouée ailleurs ou autrefois, bien sûr que cela agace l’auditeur trop attentif à la qualité de magnanimité respectueuse d’une production collective si exigeante.
Mais il faut voir combien certains rôles de cet opéra atteignent le suprême degré d’exigence et une forme vocale héroïque si on cherche chaque soir la perfection jusqu’à mettre en péril les cordes vocales de sa voix. Le rôle de Don Giovanni est un de ceux-là et John Brancy s’est tout de même bien défendu toute la soirée de mardi.
La conscience de l’insurpassable
Cinquante-cinq ans de mélomanie presque maladive m’ont acheminé sous les yeux et au coeur de l’entendement des versions de Don Giovanni tout à fait insurpassables.
De neuf d’entre-elles, je choisis pour la forme la dernière de ma petite liste des meilleures et un exemple presque miraculeux de distribution légendaire: Dietrich Fischer-Dieskau dans le rôle-titre, Birgit Nilsson en Donna Anna, Peter Schreier en Don Ottavio, Martti Talvela en Commendatore, Martina Arroyo de Donna Elvira, Ezio Flagello en Leporello, Alfredo Mariotti en Masetto et Reri Grist en Zerlina avec Karl Böhm dirigeant l’Orchestre national de Prague, ville de la première historique sous Mozart lui-même, enregistrement sur Deutsche Grammophon en co-production avec Supraphon.
John Brancy n’est pas Fischer-Dieskau, évidemment, mais il se défendait fort bien et la teneur de son maintien vocal méritait du public des vivats plus sincères à l’issue de la représentation. La magnitude, la difficulté du rôle, les monstrueuses exigences physiques, psychologiques et vocales de chaque aria et scène valent la peine de nuancer mais non pas d’ergoter vingt paragraphes durant à partir de ce qu’on ait entendu naguère Cesare Siepi, Bryn Terfel, Ezio Pinza, Ruggero Raimondi ou un autre athlète vocal.
Révélation authentique de Sophie Naubert en superbe Zerlina
Dès le duo entre Don Giovanni (Brancy) et Zerlina dans le célébrissime Là ci darem la mano, la jeune voix radieuse, souple, élégante de frivolité naïve, amusée, consentante de cette très prometteuse soprano Sophie Naubert, nous n’avons cessé de vibrer toute la soirée d’une admiration croissante pour ce talent prometteur.
Adultère, trahison qui cajole ou manquement au serment de vertueuse femme rivalisant avec l’image de la pureté obligée, il faut rire de cet opéra bien plus que de s’en torturer.
Qu’un metteur en scène prenne Sophie Naubert, si jeune encore, sous son aile comme Richard Bonynge le fit jadis pour la glorieuse et regrettée Huguette Tourangeau et les plus grandes scènes du monde opératique lèveront sur elle un rideau de joaillerie vocale prisée et reconnue.
J’ai droit à l’erreur, mais je ne crois pas me tromper qu’un brillant avenir l’attend dès qu’une inébranlable confiance en sa voix l’immunisera des convoitises et jalousies de ce milieu redoutable de divas et de tonitruants rossignols.
Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart
Libretto de Lorenzo da Ponte
à l’Opéra de Montréal,
Salle Wilfrid Pelletier de la Place des Arts
Mardi soir, le 30 septembre 2025.
ARTISTES
Interprétation
John Brancy (Don Giovanni),
Ruben Drole (Leporello ),
Kirsten LeBlanc (Donna Anna),
Anthony Gregory (Ottavio),
Andrea Nuñez (Elvira),
Sophie Naubert (Zerlina),
Matthew Li (Masetto),
William Meinert (Commendatore)
Chef· d’orchestre
Kensho Watanabe
Mise en scène
Stephen Lawless
Choeurs sous Claude Webster
Chœur de l’Opéra de Montréal,
I Musici de Montréal
Les billets pour les 2 et 5 octobre 2025































































