Soixante-six ans après sa création, l’œuvre emblématique du dramaturge franco-roumain Eugène Ionesco, Rhinocéros, résonne avec une force renouvelée. Écrite en 1959, la pièce était initialement un cri d’alarme puissant contre l’attrait du fascisme et la dangereuse emprise de la pensée de groupe.
Aujourd’hui, cet avertissement n’a rien perdu de sa pertinence. Ce classique demeure un outil pédagogique inestimable pour décortiquer les mécanismes de la pensée autocratique et la difficulté d’y résister.
L’absurde au service de l’allégorie
La pièce s’ouvre sur l’irruption de l’impensable : dans une ville sans histoire, un rhinocéros surgit et traverse la terrasse d’un café, sous le regard médusé de ses clients, dont Bérenger, Daisy et Jean. L’incident marque le début d’une épidémie : la rhinocérite, une contagion absurde qui transforme peu à peu les êtres humains en bêtes cornues.
Au-delà de l’horreur de la métamorphose, cette fable agit comme une allégorie de l’enracinement insidieux des systèmes autocratiques. Le récit illustre la décomposition du tissu social, l’installation du déni et l’isolement de la collectivité.
Face à cette adversité monstrueuse, les personnages sont forcés de chercher une réponse citoyenne et de répondre à une question cruciale : comment reconnaître ses véritables allié·e·s quand s’effondrent toutes les certitudes ?
Le rhinocéros symbolise sans détour la régression de l’homme vers un état sauvage et brutal
Le rhinocéros symbolise sans détour la régression de l’homme vers un état sauvage et brutal. La force de l’écriture d‘Ionesco tient à la manière dont il déploie cette symbolique : la menace s’installe graduellement.
Le premier rhinocéros ne provoque qu’une surprise, tandis que le second signe l’arrêt de mort d’un chat. L’escalade se poursuit par des destructions matérielles, pour atteindre un climax lorsque le personnage de Jean, devenu rhinocéros, agresse Bérenger.
La mise en scène actuelle, signée Marie-Ève Milot, s’empare de ce classique pour en tirer une réflexion percutante sur le thème de la résistance. La pièce force le public à jauger sa propre distance face à l’individualisme et à s’interroger sur la nature du collectif : s’agit-il d’une communauté soudée ou d’un simple troupeau ?
La distribution excellente de cette production comprend Renaud Lacelle-Bourdon, Lamia Benhacine, Christophe Payeur, Gabriel Szabo et Anna Beaupré Moulounda.
Photo: Victor Diaz Lamich































































