Méconnaissable, le comédien Didier Lucien affiche une ressemblance frappante avec Martin Luther King dans, Au sommet de la montagne. La pièce se déroule au soir du 3 avril 1968, à Memphis, alors que le célèbre militant pour le mouvement américain des droits civiques vient de prononcer I’ve Been to the Mountaintop, l’un de ses mémorables discours. Fatigué, l’orateur se retire dans sa modeste chambre du Lorraine Motel. Il commande un café qui lui sera livré par l’énigmatique Camae, incarnée avec aplomb par Sharon James. Que va-t-il se passer durant cette ultime nuit du pasteur assassiné le 4 avril 1968 ?
Une fiction dans un décor réaliste
Alors que le décor très réaliste de Geneviève Lizotte a tout pour faire croire que nous sommes bel et bien dans la chambre où Martin Luther King a vécu sa dernière nuit, l’histoire de la pièce, elle, est une fiction. L’Américaine Katori Hall a inventé le personnage de la femme de chambre qui va pousser le pasteur vers des remises en question profondes.
Camae est tour à tour admirative, charmeuse, mais aussi critique face à son interlocuteur. Est-il trop complaisant avec les blancs ? Trop enclin au compromis ? Tantôt taquine, tantôt grave, Sharon James est à l’aise sur tous les tons et la traduction de Edith Kabuya semble couler de source pour elle et son partenaire.
Didier Lucien est électrisant dans ses élans oratoires et le public lui répond énergiquement «Amen» à chaque fois qu’il le réclame ! Son personnage est toutefois surtout axé sur la vulnérabilité de l’homme public. Est-ce la crainte de tomber sous les balles d’un détraqué qui le fait sursauter à ce point à chaque coup de tonnerre, en cette soirée orageuse ? Ces séquences qui se répètent semblent surjouées.
Quant à Camae, elle s’amène dans la chambre de Martin Luther King en lui disant qu’il est aussi populaire que les Beatles et pourtant, elle s’adresse à lui sans ambages comme s’il s’agissait d’un client anonyme ou de quelqu’un qu’elle connaît depuis longtemps. Direction d’acteurs discutable.
«Fuck l’homme blanc!»
Cela dit, la non-violence que prônait Martin Luther King est éclipsée par les propos du personnage de Camae qui grimpe sur le lit pour montrer au pasteur comment il devrait s’adresser aux foules avec plus de fermeté en scandant, entre autres, «Fuck l’homme blanc!» Et dire que le communiqué annonçant cette pièce nous assure qu’elle est «empreinte de poésie» !
Appel à «madame Dieu»
Katori Hall a aussi fait de Camae un ange qui vient annoncer à Martin Luther King qu’il va mourir dans quelques heures. Il s’ensuit une scène de supplication du militant qui demande un sursis pour pouvoir continuer de défendre son peuple. C’est alors que Camae tente d’intercéder auprès de Dieu qu’elle joint au téléphone ! Le prédicateur pourra alors lui-même tenter de plaider sa cause en réalisant qu’il s’adresse à «madame Dieu».
En résumé
En entrevue aux ArtsZé, la metteure en scène Catherine Vidal, soulignait que sa pièce est la deuxième à afficher une distribution de comédiens noirs chez Duceppe, après Héritage, en 2019. Cette dernière avait d’ailleurs reçu des critiques très élogieuses dans nos pages, tout comme l’adaptation de King Dave interprétée avec brio par Anglesh Major, chez Duceppe également, l’an dernier. Mais, qu’en est-il cette fois-ci ?
Malgré son titre qui fait référence à un discours de Martin Luther King, Au sommet de la montagne m’a semblé davantage une pièce sur la vision militantiste et féministe de Katori Hall que sur la philosophie du célèbre défenseur des droits des noirs. Cela dit, comment dynamiser un spectacle de plus d’une heure 40 qui est essentiellement une discussion entre deux personnages réunis dans une chambre ? Le spectateur ne doit pas s’attendre à une soirée riche en rebondissements.
Visuellement, la dernière scène du spectacle est impressionnante grâce, entre autres, au savoir-faire de l’éclairagiste Martin Labrecque. Ce spectacle a aussi le mérite de permettre à un large public de découvrir l’étincelante Sharon James, en plus de voir le remarquable Didier Lucien à l’oeuvre dans l’un des principaux rôles de sa carrière.
Au sommet de la montagne
Texte : Katori Hall / Mise en scène : Catherine Vidal
Interprétation : Sharon James, Didier Lucien
Traduction : Edith Kabuya
Décor : Geneviève Lizotte
Éclairages : Martin Labrecque
Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts : du 23 février au 26 mars