Du 14 mars au 12 avril, Caligula est à l’affiche au Théâtre du Nouveau Monde. L’oeuvre d’Albert Camus, d’une densité réflexive éblouissante, est mise en scène par René Richard Cyr qui en offre une version exceptionnelle!
Caligula, à la lune, à la mort!
À la mort de sa sœur et amante, Drusilla (Rebecca Vachon), Caligula (Benoît McGinnis) disparaît du palais. Cet événement déclenche en lui une prise de conscience irréversible: Les hommes meurent et ne sont pas heureux. On comprend que ce n’est pas tant la perte de l’être aimé qui l’affecte mais plutôt le constat que même ce chagrin ne durera pas. L’empereur romain revient alors au palais avec un projet insensé : Cette mort n’est rien, je te le jure, elle est seulement le signe d’une vérité qui me rend la lune nécessaire. Caligula veut rendre possible ce qui ne l’est pas. Dans une progression dramatique sanguinaire, il condamnera ses sujets à une liberté toute relative. Il agenouillera son monde dans un projet tyrannique, au sein duquel le massacre occupe une place de choix. Caligula a pour complices Hélicon (Éric Bruneau) et Caesonia (Macha Limonchik) et pour principal opposant, idéologique du moins, Cherea (Étienne Pilon). La pièce s’achève sur l’échec, la chute de ce antihéros : Caligula ne trouve pas la lune, métaphore de l’impossible vainement recherché. Sa quête de liberté l’a mené à la destruction des autres et entrainera la sienne. Cynique jusqu’au bout, il crie, sur le seuil de la mort : Je suis encore vivant!
Une mise en scène exceptionnelle
Les superlatifs manquent pour qualifier la remarquable mise en scène de Caligula, cinquième production de la saison au TNM! Elle surprend agréablement à plusieurs endroits. Le prolifique et prodigieux René Richard Cyr a choisi de puiser dans les différentes versions de l’oeuvre pour exacerber les traits romantiques de l’empereur, sans toucher à sa monstruosité. Il souligne également le poétique de la pièce, en mettant en scène la mort de Drusilla, en ouverture. Aussi, Drusilla ne disparait pas complètement mais se fait spectatrice de la quête lunaire et des somptueux monologues s’y rattachant. René Richard Cyr parvient aussi à mettre en valeur la part de comique, en accentuant le grotesque, le ridicule et la bouffonnerie. Quant à la tension dramatique, elle est nourrie à la fois par la conception sonore rock, l’entrée sur les planches des personnages au beau milieu d’une scène, et le bris du miroir – élément important de la pièce – à un moment inattendu. Dans sa belle originalité, il faut également noter la féminisation de plusieurs rôles.
Le jeu d’acteur est tout aussi impressionnant. Benoît McGinnis magnifie l’expression de la désinvolture, de l’accablement et de la cruauté de Caligula. Il faut dire que l’intiative de cette pièce lui revient. Il fédère les autres comédiens et comédiennes, tout aussi brillants, pour sublimer l’unité d’action qui le concerne presqu’exclusivement. Relevons également le talent d’Éric Bruneau, subjuguant, dans le rôle d’Hélicon et de Benoît Drouin-Germain dans le rôle du bouleversant Scipion.
La scénographie est d’une subtilité fabuleuse. La scène est séparée dans son horizontalité pour rendre visible la dichotomie d’un monde où le bien, le mal, la vérité, le mensonge, la liberté, l’assujettissement, le pouvoir, la révolte, la vie et la mort se font la guerre. Seul Caligula et la défunte Drusilla ont accès à la scène supérieure, comme pour rappeler au spectateur l’audace du raisonnement de l’empereur, en dépit de son inhumanité.
L’historicité de la pièce, aux décors et costumes contemporains, n’enlève rien à l’actualité de sa maxime : On ne peut tout détruire sans se détruire soi-même. Un grand et délicieux moment au Théâtre du Nouveau Monde!
Caligula, au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 12 avril.
MISE EN SCÈNE: René Richard Cyr
CALIGULA: Benoît McGinnis
CAESONIA: Macha Limonchik
HÉLICON: Éric Bruneau
SCIPION: Benoît Drouin-Germain
CHEREA: Étienne Pilon
DRUSILLA: Rebecca Vachon
LES SÉNATEURS: Chantal Baril, Louise Cardinal, Normand Carrière, Jean-Pierre Chartrand, Sébastien Dodge, Milène Leclerc, Jean-Philippe Lehoux, Denis Roy
TEXTE: Albert Camus
Durée de la pièce: 1h45