Au retour d’un récital fascinant de Charles Richard Hamelin à Lachine où 500 personnes l’ont vigoureusement acclamé maintes fois, je me suis retrouvé pratiquement seul le long de la piste cyclable. Jusqu’à ma patiente ascension au pourtour de l’Oratoire où je m’abandonne sagement, au sommet de la canopée, à mes songes musicaux, j’ai médité le mot-clef de ce beau récital: le mot florilèges m’est ainsi venu à l’esprit.
Un jardin de musique française
Ce sont 125 pages de musique que Charles avait mémorisées, mûries, redisposées en son for intérieur selon une danse digitale ou une chorégraphie par laquelle nous effectuions un parcours dans le temps voire même l’espace évolutif du langage musical français fort nimbé de prouesses.
On doit savoir que notre pianiste québécois ne dispose pas de la main la plus grande sur la planète virtuose, sans doute quelque empan similaire à celui de l’éblouissante et pourtant si compacte étoile de l’interprétation, Alicia de Larrocha. Mais il accomplit des merveilles avec ses doigts et son talent exercé.
Debussy adroitement caressé
La Suite bergamasque (composée en 1901) en ses quatre mouvements amorçait le récital dans l’entrain: chaque indication du texte que je suivais à la partition était respectée à chaque mesure en ses nuances dynamiques, phrasés, accents, liaisons, ambiance méditative ou parcours de danse.
La qualité constante du pianiste restera sa fluidité tout simplement parfaite chez ces impressionnistes puisqu’il y a aussi fort longtemps que son programme de récital est rodé et maîtrisé (sensiblement le même qu’à la Salle Bourgie ce printemps dernier).
Radieuse Sonatine de Ravel
Tout aussi éblouissante surgit alors ensuite la Sonatine de Ravel (publiée chez Durand en 1905) en ses trois mouvements tous récités à l’absolue perfection -je préfére chaque fois la désinvolture du mouvement de Menuet au coeur de l’oeuvre.
Sensible, ce programme de récital avançant légèrement dans le temps, il nous menait peu à peu vers ce Poulenc dont je dois absoulment parler davantage.
Un Caprice Italien scintillant
Près d’un demi-siècle a passé depuis que ma juvénile fièvre Poulenc s’est estompée, car je fus deux ou trois années entières un ardent adepte fanatique de ce dernier compositeur et musicien dudit Groupe des Six. Je n’en démordais pas comme défenseur aguerri aussi de la musique de Scriabine à 21 ans, mais à l’âge 24 ans ma ferveur pour Poulenc frisait l’hystérie au point de me pousser à publier des articles dithyrambiques vantant toute sa musique sans la moindre exception.
Céder à peine et animer un peu
La suite Napoli date de 1920-1925 et c’est du jeune Francis Poulenc (1899-1963). Elle comporte trois mouvements et le public, plus âgé que moi en général, fort adepte de l’artiste au récital, écouta, peut-être avec longanimité, les 16 pages ardues de cette oeuvre à transitions à l’occasion méditative.
Le second mouvement baptisé Nocturne est le moins intéressant et le troisième désigné comme Caprice italien est absolument méritoire d’une annotation ou deux en marge, faites jadis à la mine (tous mes livres, toutes mes partitions sont commentées et barbouillées d’opinions datées) par ma main: on y lit « Du grand grand Poulenc, magnifique, superbe, un chef-d’oeuvre! » Je demeure en accord avec cela.
Quatre scherzi de Chopin
Le grand plat de résistance du récital offrait les quatre scherzi du compositeur franco-polonais où on note l’évolution du langage de ce génie exigeant la suprême virtuosité et la plus éloquente sensibilité poétique.
Ce sont des détails d’exigences que soulignait bien l’interprète en parlant avec bonhomie et candeur au public à son micro, préalablement à l’exécution de toutes ces grandes oeuvres à laquelle il ajouta la plus simple des valses de Chopin en rappel, afin que chacun puisse rentrer l’âme en paix.
Une soirée réussie, en somme, accessible donc, fort méditative devant ces florilèges de musique française, car Chopin était aussi un bouillant Français de tempérament et un Polonais d’ardente ferveur patriotique.
Yuliana Avdeeva, grande gagnant du Concours Chopin, édition 2010, jouait à l’autre bout du fleuve saint-Laurent, ce qui est inaccessible pour moi qui circule à vélo ou à pied. Elle offrait des Préludes et fugues de Chostakovich ailleurs, mais on ne peut être partout à la fois et il faut savoir bien choisir ce qui nous ressemble et nous rassemble.
PROGRAMME
Suite bergamasque, L. 75
I. Prélude
II. Menuet
III. Clair de Lune
IV. Passepied
Claude Debussy
(1862 – 1918)
Sonatine, M. 40
I. Modéré
II. Mouvement de menuet
III. Animé
Maurice Ravel
(1875 – 1937)
Suite Napoli, FP. 40
I. Barcarolle
II. Nocturne
III. Caprice italien
Francis Poulenc
(1899 – 1963)
Entracte
Scherzos
Scherzo no 1 en si mineur, op. 20
Scherzo no 2 en si bémol mineur, op. 31
Scherzo no 3 en do dièse mineur, op. 39
Scherzo no 4 en mi majeur, op. 54































































