Ainsi aura commencé depuis 6 heures du matin, mardi 18 juin 2019, les épreuves du premier tour du Concours Tchaïkovsky appelant les plus grands pianistes, violonistes, violoncellistes, flûtistes, hautboïstes, clarinettistes, bassonistes, trompettistes, trombonistes, cornistes, chanteurs ayant bien voulu payer leur voyage eux-mêmes et faire face aux éliminatoires desquelles ils sont désormais sortis choisis comme concurrents.
Contrairement aux autres concours généreux comme celui de Montréal (son acronyme est le CMIM) où le voyage et l’hébergement sont payés par les organisateurs qui se démènent comme des diables pour faire accueillir par des Montréalais mélomanes (via les plus que généreuses familles d’accueil) et honorer les participants choisis après audition d’un enregistrement fiable, le concours de Moscou et Saint-Pétersbourg où se déroulent ces célébrissimes compétitions musicales fabuleuses appelées Tchaïkovsky ne débourse pas un sou jusqu’à ce que l’épreuve éliminatoire ait déterminé que le concurrent ou la concurrente fasse partie des admissibles à la finale.
C’est encore plus méritoire que chaque concurrent ose ainsi croire en sa bonne étoile ou en son talent (je dirais les deux sont incontournables, je m’expliquerai plus avant) car le moindre manquement instantané ou passager à une oeuvre mémorisée se voit diffusée, perçue, lue par le jury ou les auditeurs avec partition en main. Une erreur de doigté et voilà la bévue secouant l’édifice d’un programme pourtant mille fois rejoué et pratiqué. Ce sont les conditions matérielles primordiales de cette compétition: se loger dans Moscou, attendre son tour, puis se voir choisi(e), enfin continuer d’espérer passer au round suivant en ayant les conditions de repos utiles à pouvoir travailler le répertoire jusqu’au tout dernier instant.
Deux Canadiens au piano participaient comme ayant gagné à la sueur de leur front ou de leurs économies, le droit aux lices menant aux finales: Toni Yang (ou Yang Yi Ke) déjà cinquième prix du Concours Chopin en 2015 à l’âge de 15 ans (et tous les juges sans aucune exception lui avaient accordé un oui inconditionnel à la question de vouloir l’entendre en finale alors…c’était prodigieux!) puis un Montréalais aux études Liu Xiaoyu qu’on aura entendu dans son premier concerto de Tchaïkovsky tant au Concours de musique du Canada qu’avec l’Orchestre Métropolitain cet hiver. Il étudie à l’Université de Montréal. Les concours usent les nerfs des jeunes musiciens qui sont tenus de s’y inscrire pour établir leur réputation mais une fois faite, ils ne devraient plus devoir continuer ce cirque éreintant.
Par exemple, Tony Yang dont j’ai parlé plus haut qui s’illustrait magnifiquement à Varsovie au Concours Chopin (la prochaine édition est l’an prochain) et obtenait un prix spécial du jury au dernier des trois très grands concours musicaux soit le Van Cliburn de Fort Worth. Quatre ans après le dernier concours Chopin, le revoilà ce jeune et sensible Tony Yang en lice pour un autre concours. Était-ce nécessaire de lui infliger tant d’indifférence depuis lors? Entretemps, il a fait le concours Van Cliburn de Fort Worth au Texas qui exige une épreuve de musique de chambre en oeuvres imposées, bien entendu, ce qui révèle authentiquement le caractère complet du musicien. Pour illustrer mon propos, ce jeune artiste canadien jadis de 15 ans (désormais de 20 ans), si brillant, s’étant illustré à un des trois grands concours sus-mentionné aurait dû recevoir de notre pays un vrai soutien artistique et poétique. Cela lui éviterait de se présenter sans relâche pendant 15 ans encore à toutes les éditions de tous les concours de prestidigitateurs et de voir enfin sa carrière peut-être confirmée et démarrée.
À quoi est imputable une carrière qui ne démarre pas? Je dirais à la protection quasi ésotérique du milieu musical classique établi pour des artistes choisis parrainés par de puissantes agences et le pouvoir des influents mécènes faisant plier les organisations et administrations orchestrales ou celles de séries de récitals bien connues (peut-être même les jurys de concours!) . De petits trafics d’influence, on s’entend. C’est une petite clique calquée sur quatre des cinq grands de l’ONU comme si chaque capitale influente des quatre réseaux d’influence (New York et ses innombrables succursales américaines, Londres, Paris, Moscou) exigeait des courbettes particulières pour consentir à offrir l’ombre d’une carrière au soliste talentueux s’étant pourtant incontestablement illustré.
Au dernier concours de Montréal, les musiciens asiatiques prédominaient et pour cause puisqu’ils sont devenus, sur notre vaste planète Terre les musiciens, les plus émouvants ou persévérants et étonnants quoique tous fort jeunes. Dans les rondes éliminatoires des multiples ou pléthoriques concours internationaux de musique classique, on les élimine par douzaines d’un trait de plume. Allez voir comment cette cruauté et pourquoi! C’est au cas par cas, mais, à un moment donné, c’est tout à fait injustifiable et porteur de préjugés. En somme, donc il faudrait à tout prix briser les reins de la cabale des réseaux d’influence garantissant contrat ou carrière artistique de la manière suivante par décret ministériel pan-canadien: l’irresponsabilité de nos ensembles orchestraux (à l’échelle de tout le pays) dans l’exemple que j’ai pris ici de ne pas avoir invité Tony Yang à jouer avec eux au sein de leur programmation annuelle (c’est-à-dire tous les orchestres nationaux majeurs recevant subvention de fonds publics).
Par exemple, le Conseil des Arts du Canada, les Conseils des Arts provinciaux et métropolitains devraient exiger qu’un finaliste couronné d’un prix à n’importe quel des trois très grands concours sus-mentionnés soit obligatoirement engagé dans un délai de trois ans à figurer au sein des programmes annuels de concerts des organismes subventionnés à défaut de quoi ils perdraient toute subvention gouvernementale tous niveaux confondus pour une période minimale de dix ans. Ainsi, nous serions soulagés du défilé des mêmes figures amies des régimes d’agences artistiques en place forte un peu partout défilant dans les salles du monde entier en maints programmes de concerts annuels identiques d’une grande ville à l’autre…et la jeunesse musicienne fort musicale et virtuose se verrait enfin justement intégrée à la célébration de la musique car nos salles de concert sont devenus des temples, les seuls à être fréquentés dans la paix intérieure et le recueillement essentiel à l’âme.
Quand on voit un jeune artiste, 4 ans plus tard, faisant évidemment toujours ses huit à dix heures de travail quotidien au clavier qui ne comporte plus d’ébène ni d’ivoire, devoir encore se présenter devant des jurys pas toujours rassérénants, quand on voit que les nerfs de ces jeunes artistes sont en train de les lâcher et surtout ne sont nullement ménagés par les exigeants programmes de ces concours…un vent de révolte gronde au sein de toute âme pétrie de justice. Aux USA où on déteste tellement les concepts gauchistes qualifiés en tournure anglaise d’»affirmative action», la jeune pianiste et artiste Kate Liu aurait pu bénéficier de la même mesure d’encouragement proposée ici car la pianiste quatrième prix du dernier concours Chopin est une artiste accomplie qui n’a plus à devoir se prouver nulle part.
Sauf qu’aux USA, les arts ne sont pas tributaires des gouvernements mais que es mécènes… Mon plan ne fonctionnerait que dans les pays un peu socialistes ou d’intervention étatique… Revenons au concours Tchaïkovsky: en effet, on juge habituellement, en situation de récital, du goût et du sens artistique par les choix d’oeuvres au programme des solistes. Ici, c’est moins possible, tout est fixé d’avance pour le premier round: un prélude et fugue de Bach parmi les 48 des deux livres du compositeur allemand qui savait lui être bref, mélodieux, concis et succinct mais éloquent, ensuite trois études pianistiques dont une de l’inestimable Chopin, une du très disert ou loquace en fioritures techniquement révolutionnaires du nom de Franz Liszt et une dernière au choix du géant mélancolique Serge Rachmaninoff.
Une oeuvre substantielle est aussi requise dite sonate classique (Haydn, Clémenti, Mozart, Beethoven) et finalement quelque chose du corpus d’oeuvres intéressantes de Pierre Tchaïkovsky, bien entendu. À la seconde étape du concours Tchaïkovsky, au moins une oeuvre substantielle d’un compositeur russe combinée avec des oeuvres vraiment au choix de toute la musique tous pays confondus. En toute fin de parcours, soit le programme de la finale…le premier ou second concerto de Tchaikovsky (corvée obligatoire) et encore un de son propre choix (là le choix est vaste, immense et enfin intéressant). Des huit premiers concurrents passés ce mardi 18 juin, mathématiquement parlant, il ne fallait pas en faire passer plus de quatre à chaque jour au round suivant. Choix difficile entre tous ceux qui n’ont que 20 ans, car tous furent excellents pour leur âge.
Mais ils ne firent. jamais le poids face aux concurrents plus âgés disons de 25 ans et plus. En effet, que faire devant l’incontestable supériorité d’Artem Yasynskyy l’Ukrainien déjà bien connu mondialement et qui, à Varsovie en 2015, au dernier concours Chopin peinait lamentablement en qualifications préliminaires, à jouer la toute première étude de Chopin de l’opus 10? Aujourd’hui, homme mûr affirmé et d’une virilité richtérienne, on ne comprend pas quelle sera tantôt la prouesse d’orgueil froissé de tout membre du jury voulant trouver moyen de justifier le rationnel de l’éliminer de la course! Aussi une révélation s’est retrouvée en Konstantin Emelyanov, avec du caractère partout au sein de toutes les oeuvres de son programme. Andrei Gugnin, plus de 30 ans aussi, toute une personnalité unifiée tant dans le jeu que dans la danse de la musique interprétée: en effet, une personnalité sensible, parfois inégale mais fortement intime s’en dégage.
De même avec Philipp Kopachevsky, 29 ans. Ce dernier troubadour favorisant le soliloque s’est retrouvé seul à choisir le dépouillement de la musique pure du premier prélude et fugue en do majeur du premier livre de Bach, une éloquence simple ou dépouillée (du Haydn et non du Beethoven de dernière période comme sonate classique, ça fait du sens): c’était une vois personnelle, chantante, hormis l’étude de Liszt selon Paganini où sa prestation sera comparée à celle de la tonitruante locomotive ukrainienne Yasynskyy. Mais la révélation du concours reste à présent le prometteur Alexei Melnikov, 29 ans, qui complète ce tableau des hommes artistes dotés de maturité et qui relègue tous au second plan les jeunes prodiges aux doigts fébriles parcourant les touches des claviers. Le troisième jour du premier round aura été le mercredi le 20 juin: il aura amené le second concurrent canadien en liste, Liu Xiaoyu. À mon avis, à mi-parcours, ne passaient incontestablement que Yasynskyy, Melnikov et Emelyanov, peut-être le Canadien Yang dont je m’inquiète de l’usure nerveuse pour les éreintantes raisons largement explicitées plus haut.
J’avais autrefois un rêve enfantin de m’imaginer joyeux ou exubérant à la place de ces concurrents tous si courageux: aujourd’hui, après quarante ans à observer ces concours du triomphe et de l’échafaud, je n’y vois qu’un cauchemar au sein duquel la chanson d’Elton John et ses paroles, je ne sais pourquoi-sans doute le film ROcket man visionné récemment, retentissent: It s sad, so sad, it s a sad situation And it s getting more and more absurd…et surtout celles-ci: What do I got to do to make you want me, What have I got to do to be heard…what I got to do to make you love me… Le plus simple, c’est de les apprécier tous, ces concurrents virtuoses et de le leur signifier en les félicitant par courriel ou mot Facebook de tant d’amour de la musique, de tant d’heures à s’exercer à faire valoir les idées des autres.
J’adore le talent de cette jeunesse faisant valoir ces compositeurs qui seraient tous affolés d’apprendre que leurs oeuvres servent à ça…un spectacle de concours de la musique pour la gloire d’être applaudis par peu de connaisseurs mais des foules fascinées par les habits brillants, les robes écarlates à paillettes, les désinvoltures nonchalantes à la Yuja Wang si talentueuse pourtant, mais aussi on reste parfois ému par le poète ou la poétesse s’étant immiscé(e), par hasard et bonne fortune, parmi tous ces récitants en mal de bravados. On n’a parlé ici que des pianistes devant s’arracher les cheveux en concours. Il y a ici, en ce lieu du concours Tchaïkovsky à Moscou, les violonistes, les violoncellistes, les chanteurs etc. Tous à l‘oeuvre pour la gloire. En somme, il n’y a pas assez d’heures dans une journée pour en faire le tour, malgré les bonnes intentions d’y pourvoir. Tâche de survol et de compte-rendu tout à fait inhumaine pour un reporter, le Concours Tchaïkovsky demeure un incontournable mettant au jour les grands talents audacieux. Au terme du premier tour.
J’écrivais ceci dans mes calepins: voici les concurrents qui peuvent aspirer à franchir la prochaine étape du Concours Tchaïkovsky par ordre de qualité de leur récital du premier tour: 1-Artem Yasinsky, Ukraine 2-ex-aequo Mao Fujita, Japon + Arsenyy Tarasevich-Nicolayev, Russie + Liu Xiaoyu, Canada et Philip Kopachevsky 6- Konstantin Yemelyanov, Russie, 7-Alexey Melnikov 8- Yang Ki Ye, Canada. Pour les quatre ou six derniers n’importe qui parmi Wu Yuchong, Chine, Xie Ming Chine, Andrei Gugnin, Russie et Alim Beisembayev Kakakhstan, Kim Dohyun. Alexandre Malofeev, 17 ans, virtuose mais immature, jouant tout trop vite. Ensuite, au terme du second tour, une autre victime d’élimination me peinait et je rédigeais ceci: après l’élimination scandaleuse, révoltante et injustifiable de Artem Yasynskyy d’Ukraine, l’élimination atterrante de Liu Xiaoyu du Canada au 1er tour (Tony Yang ne méritait pas d’être éliminé non plus), maintenant c’est la disparition parmi les finalistes méritoires du sublime Arsenij Tarsevich-Nikolayev, artiste stoïque, fier et racé, tout à fait impeccable dans les deux rounds de ses programmes entiers.
Au moins le surprenant Alexandre Kantorow passe, lui dont le second récital resterait légendaire si on pouvait encore le visionner…en osant Fauré après Stravinsky et le magnifique chef-d’oeuvre de Brahms composé à l’âge de 18 ans. L’inspiré et fabuleux Alexandre Melnikov si émouvant depuis le début du concours passe et heureusement l’inégalable génie d’enfance, d’aisance et de spontanéité qu’est Mao Fujita. Le Barber de Kenneth Broberg répété et agi artificieusement à outrance passe car il fut efficace mais ce concours s’était déjà manifestement abaissé au premier tour en sa faveur. Ceux qui craignent que les biais changent quelque chose à la finalité du grand art du récital ou des concerts se trompent: à long terme les choisis d’avance montrent l’insécurité des pistonnés.
Peu à peu, ils se démontreront incapables d’une vraie carrière retentissante durable en ces dures exigences que seuls d’immenses artistes satisfont jusqu’au bout (Grigory Sokolov, Maurizio Pollini, Jean-Philippe Collard, Gil Sham, James Ehnes, Louis Lortie etc). J’oubliais les prestations en ce concours du jeune mais mûr Konstantin Yemelyanov absolument excellentes depuis le début! Il passe en finale, au moins ce n’ est pas un désastre complet. Mais la fin justifiant les moyens de ce jury nous révoltera, c’est inévitable. Il faut que le milieu musical avale des victimes et les travestisse à sa guise ou les carbonise pour faire valoir de passagères supposées vedettes avec des biographies gonflées d’épithètes, des citations tronquées ou extirpées aux médias collaborant. Au final, il n’y aura que sept jeunes artistes du piano classique qui se produiront demain 25 juin et 26 juin à Moscou avec orchestre sur MediciTV, en direct, dans les fameux concertos de Tchaikovsky obligatoires et un grand concerto de leur choix.
C’est vraiment tout à fait une finale de Wimbledon mais avec des résultats plus faciles à modifier car il n’y a pas de mesures objectives comme les lignes et le filet, seulement des juges comme en patinage artistique, vous connaissez donc, de ce côté-là, un peu trop la chanson!






























































